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Couac au lac*
Nous avions ce matin rendez-vous avec Skippy (si si, comme le kangourou !) à huit heures à notre hôtel, le Siem Reap Temple Villa. Comme son nom l'indique, ce jeune homme est chauffeur de tuk tuk. Nous avions demandé à Skippy de pousser le plus loin possible vers le lac Tonlé Sap, mission fort aléatoire en saison des pluies - objectif : la visite des villages lacustres. Avoir notre tuk tuk pour la journée nous permet d'éviter les mini-vans des tour operators et leurs excursions sans surprise, et la traversée des rizières dans ces petits véhicules garde pour nous son charme : sans vitre, sans portières et avec la brise que procure l'allure (très modérée) de ces mobylettes à remorque, la route vers le lac est très agréable. Bon, on n'avait pas tout compris de ce que nous avait dit Skippy sur l'itinéraire (lui nous parlait de prendre une pirogue, que l'on savait très chère, nous lui avons affirmé que l'on se débrouillerait bien sans...). Après une trentaine de kilomètres vers l'Est, en direction de la capitale, nous obliquons plein Sud pour quinze kilomètres de piste brune.
Les buffles, sabots plantés dans l'eau, broutent paisiblement à proximité des nombreuses pagodes bouddhistes tandis que, sur le bord de la route, des jeunes filles installent leur barbecue et une table pour cuire et servir une spécialité locale : le kralaan. Il s'agit d'un segment de bambou farci de riz gluant, de lait de coco, de haricots noirs et de sucre, que l'on bouche avec de la paille avant de le mettre à braiser. C'est très amusant à déguster - ça se pèle comme une banane - et plutôt savoureux. Dès le premier des onze villages de la commune de Kampong Khlean, qui longe le lac, on peut constater que l'habitat s'est rapproché de la chaussée, comme pour s'y accrocher, et les maisons peinent à garder leur assiette : à droite et à gauche de la route, les bas-côtés filent en ravin, et ce sont des pilotis de plus en plus hauts qui s'emploient à maintenir un semblant de rectitude aux bâtisses de feuilles de cocotiers séchées recouvertes d'un fin treillis. Tout le long du village, court un fil auquel des néons supsendus sont raccordés par le biais de trombones de bureau : le fil est à vif. Il sert, la nuit, à alimenter les néons qui éclairent de minuscules bassins où se développent, en une autre saison, les alevins qui finiront dans les fish farms quelques mètres plus bas. Pas de riz, ici. Les habitants de Kompong Khleang, contrairement à 85% des agriculteurs cambodgiens, ne cultivent pas la petite céréale blanche. C'est du poisson que l'on vit au bord du Tonlé Sap, par la pêche ou la pisciculture.
Les pluies récentes, si elles nous ont paru diluviennes à nous, n'ont pas suffi à obstruer le passage des véhicules à travers ce village et les autres, et les pieds des pilotis sont encore visibles, ce n'est que plus bas encore que l'eau se trouve - tant-mieux, on peut continuer plus loin vers le lac ! Chose qui sera impossible dès le mois d'août, et ceci jusqu'en novembre, lorsque seules les embarcations pourront se déplacer par ici. Arrivé aux abords de l'avant-dernier village, Skippy oblique à gauche, emprunte une route montant vers le temple, puis reprend à droite sur quelques mètres avant de s'immobiliser. Au pied des pirogues. Et notre chauffeur d'affirmer que la traversée à pied du village, qui longe le la rivière, un peu plus haut, est interdite et que la gendarmerie, si elle nous surprend, nous verbalisera. L'argument fait à peu près la taille d'une 504 break : en fait, Skippy veut nous amener à emprunter un bateau, ce qui lui permettrait de toucher sa commission au passage. Nous le toisons d'un air conquérants, affirmant que tout se passera bien, et partons pour une promenade dans le village. Le profit que nous, touristes, tirons de l'argument de Skippy - et des autres chauffeurs de tuk tuk - est que ce village, aubaine, est rarement visité par les touristes à pied, justement.
Western soja**: nous pénétrons dans la rue principale, euh... la seule aussi, dans une ambiance à la Sergio Leone. On entend, au loin, le craquement régulier d'une scie à bois. Devant chaque maison, les feuilles de papayers se balancent mollement. Au pied des pilotis, les pirogues sont immobiles. Un bateau à moteur traverse à toute allure le canal sans s'arrêter. Sous un grand chapiteau violet, les préparatifs d'un mariage qui va se tenir là nous informent que les noces ont lieu le samedi aussi, au Cambodge. Personne. Et nous de continuer notre route, cinq à six mètres en contrebas des maisons perchées, entre les filets de pêche, les vélos rouillés et les mues de couleuvres d'eau. On sent bien pourtant, tapis dans l'ombre, des habitants qui nous toisent, circonspects. L'air est épais comme du tapioca. Le soleil est au zénith, de la sueur perle sur nos tempes. Nous nous plaçons en ligne, prêts à bondir. La famille Bruhat, face au danger, se met en formation d'escadrille. Et poursuit sa progression. Même pas peur !
Un peu plus loin, nous percevons ce qui pourrait s'apparenter à du mouvement, dans la guitoune d'une vendeuse de fruits. C'est bien ça : une vielle femme édentée discute à voix basse avec sa voisine. Derrière elles, des hommes jouent aux cartes. On ose un sourire. Banco ! On nous le rend. On pose quelques questions au sujet de ces produits inconnus, elles se bidonnent. On en profitera pour goûter quelques fruits, dont l'un, délicieux et dont le nom nous échappe, partage avec le mangoustan cette caractéristique quasimodesque d'offrir une chair agréable sous des dehors disgracieux. Alors que je sors mon petit couteau suisse, j'entends dans mon dos : "No machete, no machete !". Frayeur. Non, tout va bien. C'est simplement que ce fruit se pèle avec les doigts.
Les deux kilomètres qui nous séparent du bout du village - là où l'eau, effectivement, empêche tout passage à pied - seront pour nous un ravissement. Bonheur inégalé de s'aventurer dans les zones moins touristiques. Ce n'est pas la jungle papoue, mais c'est déjà ça... Amphélise et Célestin sont en alerte, conscients que les regards des habitants, petits et grands, se posent sur eux. Nous aurons le loisir de croiser une femme, descendue sur la rive, faisant auprès d'une batelière l'emplette d'une dizaine de kilogrammes de couleuvres d'eau vivantes, qui finiront dimanche dans les assiettes de Khmers réjouis - ou de touristes émoustillés, dans les hôtels de Siem Reap. Nous verrons bien des femmes et des hommes, abrités du soleil sous les bâtisses, assis les jambes allongées sur le sol, occupés à ravauder des filets plus originaux les uns que les autres : petits cylindres d'organza, gigantesques tunnels de maille serrée, filets en toile d'araignée ou grands disques posés sur la piste poussiéreuse avant de se rafraîchir et se charger de poissons chats... Et des mômes - partout, beacoup. Qui nous sourient et nous saluent. Et nous offrent une poignée de ces instants décisifs chers à Henri Cartier-Bresson.
Et qui est venu nous chercher... devant le local de gendarmerie (où le maréchal des logis roupille dans un hamac) ? Skippy, bien-sûr ! A qui la gendarmerie n'a même pas pensé à dire quoi que ce soit... Mais tout à notre plaisir de la balade, nous lui avons demandé, à nouveau, de nous attendre. A l'extérieur du village.
C'était très bien comme ça.
*Ouaips, bof, bof, je sais...
**On dit bien, également, western spaghetti, non?
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Commentaires
2ladja chopineauxLundi 30 Juillet 2012 à 20:44Merci pour ces instantanés. C'est un plaisir de vous suivre et de vous lire. A très bientôt.
L.Chopineaux
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Hello à tous les quatre,
Ah, Skippy, toujours aussi espiègle !!!!
Un vrai plaisir que de lire ces lignes tous les jours. Il faudrait songer à publier en rentrant, non ?
Agathe est en congés aujourd'hui et nous allons aller à la Baule. Je cherche désespérement un tuk tuk iodé mais peine perdue pour le moment.
Enormes bises