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Par pacobalcon le 28 Décembre 2012 à 20:25
Lovés dans les replis de Colonia del Sacramento, comme sous une couette douillette, nous laissons le temps s'écouler à sa mesure sous un soleil d'été. L'heure de notre retour en Fance approche à grands pas, mais on profite du rythme de la cité coloniale. La population ici est souriante et détendue, comme en vacances.
La ville, classée au au volet culturel du patrimoine mondial de l'Unesco, a été fondée par les Portugais pour espionner ce qui se tramait, au dix-septième siècle, entre Buenos Aires et l'Espagne. A ce titre, pendant une centaine d'années, elle fut considérée comme manzana de la discordia.
Objet de contentieux, la ville s'est développée sous un jeu d'influence qui a pris une dimension particulière. Les nombreux azulejos et les canons de la forteresse peuvent faire penser au Portugal. Par ailleurs, les placettes bordées de terrasses rappellent le sud de l'Espagne, tandis que les nombreuses automobiles anciennes - de la Ford T à la deuche, en passant par la Fiat Topolino - lui donnent un air de La Havane. De surcroît, face aux églises à deux tours blanchies à la chaux, ou en arpentant les rues pavées, on se sent à Coyoacan, au sud de la capitale mexicaine, ou dans une ville du Chiapas. Bref, Colonia del Sacramento, à l'instar de Oaxaca ou d'Antigua, est une de ces cités de charme qu'on peut visiter sur les parties nord, centre et sud du continent. Tout entière tournée vers le Río de la Plata, elle affiche ses jolie demeures blanches, roses ou en briques brunes, en une longue enfilade décorée de bougainvillées et de palmiers.
Les Porteños ne s'y sont pas trompés, qui affluent le week-end, lorsqu'ils arrivent par ferries entiers une heure après avoir quitté la bruyante Buenos Aires, de l'autre côté du fleuve. Or, samedi, c'est demain - on verra bien. Du moins les croisera-t-on lorsque nous nous rendrons, en sens inverse, vers la capitale argentine, pour notre vol à destination de Madrid.
Pour CAFE, Colonia restera en outre le lieu où nous avons rencontré Fritz, alias Trix. Un furieux, un vrai. Sa mèche blonde tombe sans arrêt sur son nez, telle un linge s'anime à la brise. Sa peau légèrement rougeâtre est tendue comme celle d'un tambour autour de ses yeux clairs, dont la gourmandise ferait frémir une femme de pasteur du Jutland. Il porte une chemise canadienne à carreaux rouges, élimée, dont la manche droite est parcourue d'une fente comme taillée au coupe-chou et met au jour un robuste biceps. Ses cuisses gonflent le tissu de son jean, troué au genou. A vingt-six ans, Trix est l'incarnation contemporaine de l'esprit d'aventure à la Jack London. Il a de plus quelque chose de Jon Krakauer, l'auteur d'Into the Wild, que Sean Penn a mis en scène depuis - ce désir d'ailleurs mêlé à la capacité de vivre seul.
On en a vu, des voyageurs, des routards partis depuis des années, depuis si longtemps parfois qu'ils n'ont plus de destination. Des fondus, comme ce couple de Français naviguant depuis cinq ans sur toutes les mers du monde, ou cet autre couple de Français en rando à travers le continent, dormant à la belle étoile chaque nuit, ou bien encore cette retraitée en vadrouille depuis des lustres à travers le monde. Bref, on a fait des rencontres savoureuses - mais lui, c'est le number one. Du voyageur de compét'...
Il est parti depuis un an et demi, deux jours après avoir soutenu une thèse en mécatronique. Depuis, il a promené son vélo dans quarante pays, sans jamais prendre le train, ni le bus, ou presque. Jusque là, bon, du relativement classique. Mais ce qui le distingue des autres, c'est un itinéraire de dingue et des challenges à tomber par terre.
Lorsqu'il a voulu entrer en Russie, de Chine, on lui a refusé le visa - qu'à cela ne tienne, il a pédalé jusqu'en Corée, où on le lui a refusé également. Alors, c'est au Japon qu'il est allé l'obtenir, à l'aube de l'hiver 2011/2012 - il pouvait donc mener à bien son projet : traverser la Sibérie sur sa monture d'aluminium. Trois mois pour contourner le Lac Baïkal, dont un par moins trente, à dormir sous une tente ou carrément dehors. A quelques pas de traces d'ours - et il paraît qu'en hiver, saison où l'animal est sensé hiberner, elles sont aussi rares qu'inquiétantes ! Antérieurement à la Russie, il avait traversé toute la Chine, et avant encore, les hauteurs tadjiks et kirghiz d'Asie centrale. N'ayant jamais grimpé jusque là, ce natif de Dresde s'est tout de même offert les 7100 mètres du Pic Lénine, dans le Pamir, sans guide, sans équipement de pointe - en coutournant même l'accès officiel au site, pour ne pas payer.
Eve et moi, qui avons adoré notre séjour en Asie centrale, en 2000, écoutions bouche-bée son incroyable récit. Quelle aventure ! Lui nous racontait son périple avec un mélange d'humilité et d'enthousiasme. Sa traversée du sud-est asiatique, sa remontée d'Afrique du sud jusqu'au Congo. A vélo, toujours à vélo... En Amérique, dernièrement, il a pédalé depuis le Mexique jusqu'en Patagonie. Nous avions les oreilles en feu lorsqu'il a parlé de son ascension de l'Aconcagua, le toit du continent américain - seul, tout seul, alors même que l'accès à la montagne était fermé : c'était l'hiver austral ! Atteindre les 7000, avec un vent poussant des pointes à deux cents kilomètres heure, en totale improvisation - nous étions soufflés. Juste après, il a fait plusieurs centaines de kilomètres depuis le Fitz Roy, en Argentine, jusqu'au Torres del Paine, au Chili - franchissant le parc des glaciers. Invraisemblable. Nous étions en fusion, lui nous parlait de la douleur du froid, des sacs de couchage qui deviennent durs comme du bois au petit matin, tandis qu'une paysanne russe, alors qu'encore allongé il repoussait une offre de vodka au petit-déjeuner, s'était mise à le larder de coups de pieds et avait fait rouler son sarcophage - et lui bloqué à l'intérieur - en contrebas ! Ses photos sont LÀ.
Il compte rouler jusqu'á épuisement de ses ressources financières. Nous, nous rentrons demain... Sans doute, comme les artistes explorent des territoires créatifs que nous n'osons pas aborder, lui voyagera-t-il un peu pour nous dans la suite de son aventure phénoménale.
Aujourd'hui, on a piqué une tête dans le Río de la Plata et on a loué une voiturette de golf avec laquelle on s'est promenés dans Colonia. Trop fou.
3 commentaires -
Par pacobalcon le 27 Décembre 2012 à 14:10
Pour dire toute la vérité, et n'en déplaie aux Porteños, comme on appelle les habitants de la capitale argentine, nous n'avions guère envie de passer les trois derniers jours de notre aventure à Buenos Aires. De la ville, de l'urbain, du nombre, nous allions en avoir à profusion dès le 30 décembre, jour de notre retour en France, alors on voulait autre chose. Un sas.
Buenos Aires est située sur la rive du Río de la Plata, ample fleuve qui sépare le pays de son discret voisin, l'Uruguay. Après dix-neuf heures de car, nous avons foncé directement depuis le Retiro, l'immense gare routière de Buenos Aires, jusqu'au port, pour emprunter une navette fluviale nommée Buquebus et prendre la poudre d'escampette en direction de Colonia del Sacramento, paisible bourg colonial arrimé au fleuve côté uruguayen.
Moins de vingt-quatre heures après notre départ de Patagonie, nous accostions en Uruguay, ajoutant un tampon à notre passeport déjà ouvragé comme la Tapisserie de Bayeux. Bonus track. Quoi ! Vous avez pas visité Buenos Aires? Bah non. L'impro, jusqu'au dernier centimètre de ce périple, épouse la ligne brisée de la tentation, comme un solo de contrebasse d'Henri Texier. Nous ne descendrons pas à Convention - Hé hé...
Lorsqu'en septembre nous sommes entrés dans Kumai, au sud de l'île de Bornéo, après une rude traversée de la Mer de Java sur un Pelni boat armé comme un bûcher sacrificiel qui n'attendrait qu'une allumette, nous avons erré dans la petite ville, à une heure du matin, avant de trouver, dans un hôtel minable, deux chambres pour passer le restant de la nuit. Avant de nous enfoncer dans la jungle du Tanjung Puting.
Lorsque nous visitions les plantations Bo des Cameron Highlands, en Malaisie, nous avons pris la tangeante à travers les buissons de thé pour une promenade qui nous a pris une journée de marche et nous a menés bien plus loin que prévu, perdus même, au milieu d'une végétation splendide, avant de rentrer en stop.
Pire, mieux même, c'est en atterrissant sur le sol indonésien, à bord d'un petit Boeing Air Asia qui avait levé les roues à Singapour, que nous avons, presque au hasard, jeté notre dévolu sur l'archipel des Célèbes - qui allait devenir un des highlights de ce périple, nous donnant à goûter, comme on goûte non pas un, mais deux fruits rares, les Îles Togian et le Tana Toraja.
Bref, les plus grands plaisirs de cette aventure auront bien souvent été dûs à des décisions échapant à la raison, des mouvements de dernière minute, avec le désir pour seul moteur, lorsque les Lonely Routard étaient calés au fond des valoches, bien à leur place finalement - entre deux paires de chaussettes. Rappel : le Lonely Planet Thaïlande, c'est lorsque les enfants ont eu leur tourista de compétition qu'il nous a été le plus utile...
Faisant l'économie du motif, le voyage se pare de motifs qui ne tatouent que celui qui le fait, comme un passeport de vent. Il n'y a pas de généralité du voyage - il n'y a que des cas particuliers du voyage. Une combinaison unique de choses vues et de choses encore ignorées. Célestin fait un voyage. Amphélise fait un voyage. François fait un voyage. Eve fait un voyage. CAFE est le compagnonnage idéal dans cette aventure - mais chacun porte sa propre expérience.
C'est donc par les vitres tachées d'un bus de la compagnie El Condor, puis celles, plus propres, d'un taxi modèle Logan, que nous avons observé la capitale argentine, traversée comme par effraction. Nous n'y aurons pas plus entendu de tango que nous n' y aurons pris le temps d'observer la fourmilière arpentée chaque jour par Borges, qui même loin de sa ville, ne "quittait jamais Buenos Aires", sur laquelle il posa ses yeux morts jusqu'en 1986.
Nous dorons donc, depuis hier, au soleil tranquille de Colonia del Sacramento, où nous avons pris nos quartiers dans une bâtisse coloniale défraîchie mais bien agréable, sur l'avenue principale. A quelques pas de notre hostal, le barrio histórico, qui se termine en pointe de flêche, plonge dans le Río de la Plata, de telle sorte qu'en se plaçant au milieu de l'Avenida del General Flores, vous pouvez observer de chaque côté les rues adjacentes piquer vers les eaux sombres de la rivière, jusqu'à une plage de sable fin d'oú émergent des palmiers au tronc court et épais comme un cou de toro.
En bas, quand vient le soir, les jeunes Uruguayens, assis sur des murets dos à la rivière, tchatchent en buvant leur maté à travers une petite paille de métal, un thermos d'eau chaude à la main - d'ailleurs, ici, tout le monde se trimbale dans la rue avec son gros flacon de métal, comme Javier Bardem dans No Country for Old Men, en beaucoup moins flippant. Jeunes filles et jeunes garçons se retrouvent sur le remblai, qui fait face à la capitale argentine, située cinquante kilomètres au sud. Par temps clair, il est possible, dit-on, d'en apercevoir les hautes tours de verre et de métal du quartier des affaires.
Or, hier, les eaux du fleuve étaient surmontées d'un filet de brume qui donnait au Río des allures d'océan et masquait la vue de Buenos Aires. Décidément...
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