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Par pacobalcon le 2 Décembre 2012 à 03:12
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Il est 8h10 - le bus a déjà vingt-cinq minutes de retard. Assis sur les confortables fauteuils de l’Arequipa-Tacna de la compagnie Pacífico del Sur, nous regardons par la fenêtre le temps passer. L’agence n’a pas vendu tous les billets – le bus est presque vide ! – donc on attend d’éventuels passagers de dernière minute. Ce qui ne nous arrange guère, car dès le terminal de Tacna, à l’extrême sud du Pérou, nous devons enchaîner pour un autre bus en direction d’Arica, au Chili, avec une deadline : prendre l’avion pour Punta Arenas demain matin. Et y rejoindre le gars Roger, qui lui atterrit aujourd’hui à Ushuaïa vers 12 heures.
Nous partons en Patagonie. C’est-y pas beau, ça – Ushuaïa, Punta Arenas, la Patagonie ? De la géopoétique de premier choix. « Chili », en quechua, signifie « là où finit la Terre », un horizon que souligne le Punta de Punta Arenas. Bref, on file aux extrémités ! En fait, on n’est pas dans un bus, mais à bord d’une page de Sepulveda !
Et pourtant, cette pointe où finit la Terre, que ne l’a-t-on gonflée, exagérée ! Au seizième siècle, des récits de navigateurs présentent la Patagonie comme un territoire abritant des géants : les Patagons. Leur taille et leur mode de vie rabelaisiens ne peuvent se déployer que sur une zone de dimensions gigantesques. C’est pourquoi ce siècle charnière voit s’abattre sur lui une pluie de cartes du Nouveau monde plus farfelues les unes que les autres, faisant parfois la part belle au sud de l’Amérique du Sud, à une gibbosité de papier relevant bien-sûr davantage de l’image mentale que de l’approche scientifique. Cette représentation sera de surcroît relayée par des cartographes… qui jamais ne mirent un pied en dehors de l’Europe ! En gros, la Patagonie est un mythe. Difficile dans le Village global d’aujourd’hui, à l’intérieur duquel un simple clic vous donne accès à Google Maps – avec, au choix, tracés, images satellite ou même photographies – de s’imaginer la résonnance d’une telle « information ». à l’époque. Si les Patagons n’avaient pas assez de place pour vivre à l’aise sur leurs terres, ils en auraient bien assez pour courir dans les têtes des Européens de la Renaissance !
C’est d’ailleurs l’Amérique toute entière qui est l’asile des mythes les plus divers. Le Pérou, où nous nous trouvons encore pour quelques heures, n’avait-il pas son Eldorado ? Les Etats-Unis du président Jefferson n’avaient-ils pas leur Passage du Nord-Ouest, qui permettrait de relier l’Atlantique au Pacifique ? Au fil des siècles, ces mythes ont trouvé d’autres incarnations, comme l’usine à rêves d’Hollywood. La prochaine ? Pourquoi pas l’iPad mini d’Apple, qui vous offre le monde au bout des doigts… d’une seule main ?
Ainsi les Hommes ont-ils navigué entre l’image mentale et la mentalité de l’image… Et depuis cinq mois, le voyage plaque chaque jour une question contre notre front : c’est quoi, le monde ? Une chose, une idée ? Le fruit de l’union des deux ? Une chose est sûre, en tout cas : CE QU’ON NOMME MONDE TIENT EN UN MOT*.
Ce matin, au petit-déjeuner, Eve et moi avons expliqué à nos jeunes compagnons de voyage en quoi ce séjour au Chili nous était cher. Au soir du 27 février 1999, dans la minuscule salle sans luxe d’une troupe de théâtre de la rue de Tolbiac, au-dessus des voies de la Gare de Lyon – face à ce qui allait devenir le nouveau quartier de la Bibliothèque François Mitterrand - une soixantaine de personnes étaient réunies dans une ambiance joyeuse. La fête battait son plein. A l’entrée, dans une toute petite valise ouverte sur un coin de table, la sœur d’Eve avait placé une paire de brosses à dents, un Routard et deux passeports… Le lendemain de la noce, qui fut réussie, Eve et moi trouvâmes dans cette mallette de quoi voyager jusqu’au Chili, pour une Lune de miel américaine. Nos amis, la famille, nous offraient ce beau cadeau. A l’été 1999, le voyage eût lieu, et fut lui aussi réussi. C’est à ce moment que Célestin et Amphélise devinrent pour nous une image mentale, celle d’un monde familial peuplé de quatre créatures. En 2001, puis en 2004, la tribu acheva de se former. CAFE.
En juillet 1999, au Chili, nous avions décidé de ne pas descendre au-delà de Valparaiso, située à la même latitude que Santiago, pour ne pas affronter l’hiver austral. Plus au nord, nous avions donc trainé nos guêtres, sous une chaleur relative, autour des fabuleux Geysers del Tatio, du Sur Lipez, des Lagunas del Altiplano, du Salar de Uyuni, au nord du Chili et à l’ouest de la Bolivie. Cette année, nous reprenons, mais au sud cette fois, dans la chaleur relative de la fin du printemps austral. Nous serons à Punta Arenas demain soir, pour former un CAFE + R et partir à l’assaut du Parque Del Torres Paine, du pied du Fitzroy, du glacier du Perito Moreno, etc.
C’est le cœur entre deux chaises que nous quittons le Pérou. Nous y avons goûté avec un plaisir sans fond les richesses culturelle et naturelle. Les randonnées sur le Machu Picchu, le Huayna Picchu, le Canyon de Colca et la jungle, les prodigieux paysages de montagnes et d’altiplano, les promenades dans Lima, Cusco et Arequipa, accompagnées des visites des Musées Larco Herrera de Lima et Cusco, des cloîtres un peu partout, de la Basilique et de l’Eglise de la Compagnie de Jésus de Cusco, des couvents Santa Catalina et Santa Teresa d’Arequipa, aux murs couverts de jaune, bleu ou ocre, du Musée de l’Université d’Arequipa – où Juanita, sacrifiée au sommet de l’Ampato pour apaiser la colère de l’Inti, avant d’être conservée au froid depuis 1995, semble vous toiser du fond des siècles - et pour Eve, des géoglyphes de Nasca… Le baroque péruvien, l’art cusquénien et ses enluminures, la peinture aréquipénienne… Les sympathiques Juan, Julieta, Yola… Le ceviche, la cerveza helada… Tout en étant bien conscients de ne profiter que d’une partie du patrimoine extraordinaire du Pérou, nous nous sommes régalés.
En revanche, dans le sud péruvien, nous n’avons pas apprécie la mécanique du rapport aux touristes, ni les engagements non tenus, qu’il fallait rappeler bien souvent. L’industrie du tourisme y occupe une place centrale et semble néanmoins lasser les personnels qu’elle emploie. Nous avons été à maintes reprises confrontés à un manque de créativité et d’énergie, ici, auquel nous n’étions pas soumis ailleurs dans notre périple. La Malaisie a son Amok, le Pérou, lui, est empreint de mélancolie. Le pays, sans doute, a-t-il tort de s’inféoder au prestige de la civilisation de l’Inca. Ne gagnerait-il pas à cesser de vivre à l’ombre d’un monde disparu, qui cannibalise l’attention des touristes venus du monde entier pour jeter un coup d’œil sur ce qui n’est plus, afin de nourrir l’image mentale d’un monde parfait ? Comment vivrions-nous l’affluence touristique qui est la nôtre, en France, si elle se focalisait uniquement sur notre passé ? C’est le risque, d’ailleurs, qu’encourt la muséalisation rampante de Paris, qui pourrait bien passer du statut de ville à celui de pure image…
A l’intérieur du Scania, l’attention de Célestin et Amphélise a vite été happée par les hurlements des pingouins de Mr Popper. Alors qu’Eve, encore fatiguée de sa virée à Nasca, se reposait à l’abri du rideau orange vif qui l’isolait de la lumière extérieure, le bus a glissé entre une foule de collines nues prises dans un sable gris, dont n’émergeaient que les saguaros balisant la route en direction du sud.
Nous avons roulé plusieurs centaines de kilomètres à travers le désert sans rencontrer la moindre ville. Un peu avant l’oasis de Moquegua, on nous a prié de quitter le bus pour nous soumettre à une inspection effectuée par le Ministère de l’Agriculture : le pays est actuellement victime d’une épidémie de mosca de la fruta, une bébête qui ruine une partie de la production agricole du nord du pays. Alors, que la soute du bus était passée au peigne fin, nous déposions nos sacoches sur le tapis roulant du scanner. Horreur ! Nous avions quatre pommes vertes, achetées au Mega d’Arequipa ! Branle-bas de combat : deux officiers se saisissent de la dangereuse cargaison et la jettent à la poubelle, sourds à nos atermoiements. Nous avons demandé de pouvoir les manger sur le champ, pour ne pas infester la zone sud, mais non, ça n’était pas possible. Pas de pitié pour les Carlos des fruits et légumes. Pour les Mollah Omar des produits frais. Non mais !
A l’approche de Tacna - et de la frontière chilienne – le paysage s’est allongé. La vallée, en se transformant en vaste plateau, a blondi. Du sable et des cailloux, à perte de vue. Seuls témoins de l’altitude, les sommets lointains se dissimulent derrière une brume de chaleur zébrée par les fils électriques de la ligne haute tension qui court le long de la route depuis Arequipa, Lima sans doute. On se croirait dans un Sahara monté sur échasses.
On approche… La douanière, écouteurs vissés à l’oreille, tourne nos passeports dans tous les sens – mais que font ces Français aux multiples bagages, avec des tampons de partout ? Ca passe. On traverse le hall. Nous voici au “Pays où finit la Terre”.
Rappelons-nous cette tirade de Romeo and Juliet : « That which we call a rose, By any other name would smell as sweet ».
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Par pacobalcon le 29 Novembre 2012 à 15:32
Snif ! Ce matin, autour de la table du petit-déjeuner, c'est CAF qui a pris place. Acronyme moins riant que CAFE, on en conviendra aisément. Eve, hier soir, est montée sur Nazca pour observer les géoglyphes éponymes à bord d'un Cessna. Enfin, si elle est parvenue à en trouver un...
Nous étions rentrés du Canyon de Colca vers 17 heures, après six heures de car, et depuis le Terminal Terrestre d'Arequipa, elle a directement acheté son billet de bus de nuit pour Nazca. En résumé, après une journée de bus, elle a roulé toda la noche vers le nord-ouest, puis filé directos dans un petit zinc pour survoler le site avant de retourner au terminal de Nazca pour son retour de noche sur Arequipa. On la retrouve demain. Et dans deux jours, on file vers le Chili !
Eve, vaillante petite vigogne - on ne lutte pas contre les rêves... Elle qui déteste l'avion !
Et pourtant, on était bien lessivés après trois jours de marche dans le Canyon. Le premier jour, à l'heure du tigre, nous avions fait route vers Cabanaconde, au nord d'Arequipa. Depuis ce village, au sommet de la gorge, on peut observer le goulet par lequel s'infiltrent les eaux bleues de la rivière Colca, depuis l'ouest, plus de mille mètres en contrebas. Sur le zócalo, la place centrale, les paysans avancent à pas mesurés sous la chaleur naissante d’une journée ensoleillée, encore une. Les campesinos, ici, ont une peau brune et mate dont les plis marquent les yeux, le cou, les mains comme des crevasses, une peau sèche et creusée à l'instar de la terre sur laquelle ils habitent et cultivent le maïs. Les hommes sont coiffés de chapeaux type Stetson portés vers l’arrière, de même que dans un western de Nicholas Ray. Les femmes, elles, portent leur bébé sur leur dos, emmitouflé dans une manta, et elles sont coiffées d’un chapeau très différent des petits melons gris ou noirs que l’on porte dans la Vallée sacrée, autour de Cusco. C’est un couvre-chef blanc dont le bord arrière est rabattu contre le crâne. Il est tissé de formes géométriques aux couleurs vives, des triangles bien souvent, dont les pointes désignent, au sommet de la calotte, une large étoile qui redistribue les couleurs vers les côtés, aux quatre points cardinaux. Sur la chaussée, des habitants du village s’installent dos au soleil pour deviser sur des chaises descendues des échoppes. Un vieillard lit le canard et hurle à sa voisine, hilare, les dernières informations de la région. C’est, en fait, à tout le zócalo qu’il s’adresse.
Il est temps de démarrer. On nous indique un camino qui roule vers les gorges. C’est la direction à suivre pour Llahuar, un hameau que nous souhaitons atteindre avant la nuit, mille deux-cents mètres plus bas, au bord de la Colca. Nous n’avons pas de guide, pas de carte précise, juste un plan approximatif et le désir de sortir des sentiers battus. Sur le chemin, une vieille nous hèle : pourquoi n’allons-nous pas à Llahuar en voiture, tous simplement ? Et les mômes, dit-elle en désignant nos petits compagnons de voyage d’un mouvement du museau, pourquoi leur infliger ça ? Aouch !
Mille deux-cents mètres de dénivelé, ça correspond à des milliers de chocs sur les genoux, lorsque le poids du corps s’affaisse à chaque marche, à chaque pas vers le bas. Ca cogne… Et ça glisse : difficile de profiter du paysage tant le sentier nécessite toute notre attention. Autour de nous, à flanc de montagne, tout est sec et nu tel un cul de babouin. Comme cette partie du Pérou est aride ! Il existe bien une saison des pluies, en début d’année, sur deux ou trois mois, mais le reste du temps, pas une goutte – et de l’autre côté de la Cordillère, la selva baigne dans l’humidité à longueur de temps !
Un chien, qui nous suit depuis le village, nous accompagnera jusqu’en bas. Célestin et Amphélise, qui l’adorent, l’ont surnommé Julien. C’est un bâtard bien sympathique qui profite de chaque coin d’ombre pour se poser un instant. Hélas, il nous quittera le lendemain matin pour suivre un couple en direction de Fure, au nord – mais le troisième jour, un autre chien, plus petit, le remplacera. Il sera, celui-là, baptisé Bonito, puis Tom. Ce sont des chiens attachants, qui n’aboient guère et vous suivent en silence sans rien demander.
Le soir, nous parvenons chez Yola, qui tient un hospedaje muy básico. A l’entrée du hameau, elle monte silencieusement la garde pour que les rares marcheurs n’aillent pas chez son voisin et concurrent. Lorsque nous entrons dans la chambre, Célestin se tord de rire - il nous fait part de ce qu’il a lu à l’entrée :
100 % comfortable bedrooms
Natural Light
Orthopedic mattresses
La cabane, minuscule, possède un sol de gravier, et la lumière naturelle nous parvient par un trou dans le mur. Le confort est assuré par des bâches en plastique plaquées contre les parois, qui faseyent au moindre coup de zef. Les lits sont des assemblages de tiges de bambou soutenues par des pilotis de hauteur irrégulière – Eve glissera toute la nuit vers le sol. Bref, on se croirait dans une grotte de réfugiés kosovars. Ce qui ne nous empêchera en rien de dormir comme des souches - les matelas, reconnaissons-le, sont épais. D’autant qu’on aura profité, un peu avant la tombée de la nuit, des sources chaudes du hameau. Au bord de la rivière, deux petits bassins rectangulaires ont été creusés pour recevoir les eaux d’une cascade souterraine, tièdes comme une brise estivale. Au creux des montagnes, on va passer une petite heure à se délasser, à s’ébattre pour laisser le flot de la nuit emporter les ardeurs du jour. C’est requinqués que nous avons grimpé sur la plateforme de la salle à manger pour avaler une soupe de maïs et des huevos revueltos con arroz y verdura, œufs frits avec du riz et des légumes.
Le lendemain, nous partons trop tard : il fait déjà chaud lorsque nous entamons la montée vers le village de Malata, quelque huit-cents mètres plus haut, avant de redescendre sur Sangalle, autre hameau, surnommé l’Oasis, placé sur la rivière. Nous longeons le canyon sur le versant nord, qui est exposé toute la journée. En tout, presque mille quatre cent mètres de dénivelé dans la journée, sur un sol qui parfois s’effrite comme un paquet de chips… Les glissements de terrain, sur cette roche sédimentaire, sont quotidiens ici, et les sentiers disparaissent et naissent à nouveau à la vitesse d’un cheval au galop.
Parvenus à mi-course, une avancée dans la gorge forme un promontoire depuis lequel on peut observer à la fois les parties ouest et est du canyon. C’est prodigieux. Le Canyon de Colca est un des plus profonds du monde. Ses falaises gris-brun clair mises au jour par l’élévation progressive des Andes dégringolent vers la fragile turquoise de la rivière. Dans les environs du canyon, l’horizon se fragmente en une multitude de sommets chauves et pointus qui s’inféodent aux cônes neigeux du volcan Ampato et de ses camarades, culminant au loin à plus de six mille mètres. A la pause, assis au pied d'un arbuste, nous dégustons des fruits secs et autres barres de céréales, sous la surveillance d'un condor tournoyant dans le ciel, ailes noir et blanc déployées.
Un raccourci nous aura donné bien des frayeurs. Le sentier que nous avons choisi, en contrebas de la route qu’emprunteront en tout et pour tout deux véhicules sur la journée, vient de glisser lui aussi ! Nous tentons bien de rejoindre le tronçon suivant, une dizaine de mètres plus loin, mais nos chaussures s’enfoncent dans le gravier et filent vers le bas. Aïe, bloqués ! Je commence déjà, dans ma tête, à comptabiliser le nombre de litres d’eau qu’il nous reste... Sur ce, Amphélise et moi nous lançons dans une entreprise d’escalade pour couvrir les trente mètres nous séparant de la piste, au-dessus de nos têtes. Le sol se dérobe sous nos pieds, et nous n’avons pour salut que quelques prises sur des arbustes accrochés au flanc de la paroi. Je me sens comme Habu Jôji, dans le Sommet des dieux, de Jiro Taniguchi – sans les qualités. Aïe aïe ! Amphélise, qui a gardé son sang-froid d’une manière confondante, annonce à sa mère et son frère, dix mètres plus bas, comme une chose naturelle et entendue : « Adieu, c’est la fin ». Pas fier, le Paco…
Non sans mal, nous nous hissons jusqu’à la piste. Amphélise est littéralement couverte de poussière et j’ai le mollet comme un cactus. Pas beau à voir. De là-haut, ma Gazelle et moi scrutons les alentours pour trouver une échappatoire pour Eve et Célestin. En voilà une : à deux cents mètres en amont, un étroit sentier, masqué par un rideau de saguaros, leur permet de rejoindre la piste. Ouf ! Nous voici donc repartis, pour rejoindre le village de Malata. Du plat pendant cinq kilomètres environ – tant mieux, ça nous fera du repos. Parvenus à Malata, nous prenons un petit coca bien tiède chez une vieille campesina qui se bidonne en voyant se pointer quatre Gaulois tout crados. En plus, elle a une manta à vendre : deux pans de laine d’alpaca joliment tissés et réunis par une bande décorée dans le pur estilo de Cabanaconde – comme les chapeaux des femmes du coin. Une poignée de minutes plus tard, après une négociation très relax, la manta est glissée au fond du sac à dos. Chouette !
Ne nous reste plus qu’à nous laisser descendre au fond de la gorge, dans le plus pur estilo de Linda Lovelace… Environ six-cents mètres de lacets à angle droit pour rejoindre l’oasis de Sangalle. En face de nous, se dresse la falaise de Cabanaconde, notre destination finale. Mille deux-cents mètres de dénivelé qu’il faudra avaler tôt le matin pour éviter le soleil. Environ quatre fois la Tour Eiffel, ou le Huayna Picchu. Combien d’étages ? On préfère ne pas savoir. En attendant, lovés dans notre petite oasis de verdure, on va pouvoir se détendre et se baigner dans les eaux thermales d’une autre rivière souterraine. Parfait. Quelques bières en compagnie de Samuel - parti de ses Hautes-Alpes pour un tour du monde de deux ans, ou plus - et au dodo !
Bah, le lendemain, on l’a fait, et en a peine plus de temps que les adultes, en plus ! Chapeau bas, Célestin et Amphélise ! Pourtant, lorsqu’on a levé le museau vers la crête, à six heures du matin, on n’en menait pas large. Quelle joie d’arriver en haut ensemble, de savourer tous les quatre cette micro-victoire ! Sur ce, Benito/Tom nous quitte, sous le regard mouillé des enfants
On rejoint le zócalo, et on retrouve cette ambiance paisible de village chauffé à blanc. Le temps semble s’être arrêté ici. Les mouvements sont lents. Trois chiens allongés dorment à l’ombre d’un camion garé sur la place. Roberto (je l’ai baptisé ainsi) continue de hurler les dernières nouvelles à sa voisine, tranchant le silence de sa voix puissante.
A 11h30, on grimpe à bord du bus público, pour six heures de route. A l’aller, nous n’avions rien vu du paysage car nous étions partis trop tôt. On peut désormais se régaler. Sortis de Cabanaconde, nous nous hissons sur l’altiplano, à plus de quatre mille mètres d’altitude. Des vigognes sauvages et des troupeaux de lamas et d’alpacas paissent sur l’immense plateau zébré par des rivières d’altitude. C’est somptueux. Dans quelques heures, Eve filera sur Nazca pour siroter du géoglyphe pendant que CAF ira glander sur Arequipa pour souffler un brin.
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Par pacobalcon le 23 Novembre 2012 à 19:53
A Aguas Calientes, au pied du Machu Picchu, nous nous sommes levés à l'aube pour la visite. Même si - pour cause de genou dans le sac - c'est en autocar que nous grimpons sur le site, évitant ainsi l'exigeante marche d'approche et grapillant quelques minutes de sommeil. L'objectif étant d'atteindre l'entrée, là-haut, à 6h30, pour l'ouverture des grilles.
L'autocar numéro douze se met en marche, parcourt le kilomètre qui sépare la ville du fond de la vallée, au bord de l'Urubamba, et, une fois franchi le petit pont qui enjambre la rivière, file à gauche pour attaquer la série de courtes lignes droites tracées à coups de fouets sur le dos du Machu Picchu, et reliées par un angle coupant comme un canif. A travers les vitres, dans le nuage de poussière que soulève la file d'autocars levant leur cargaison de clientèle internationale - dont certains ont payé cinq cents dollars pour une nuit d'hôtel à Aguascalientes - on distingue à peine nos camarades de randonnée des jours précédents, Jean, Lev, Kariss... en plein effort pour parvenir au sommet à au bon moment. Courage !
Quelques secondes plus tard, la poussière laisse place à la brume du matin, posée en équilibre sur les montagnes alentours. Dans l'autocar, le silence s'est installé sur un claquement de doigt. Les regards balaient les flancs noirs que caresse la masse cotonneuse. Ca et là, surgit la pointe d'un sommet qui disparaît au premier virage. Nous parvenons à l'entrée. On est à l'heure.
Les touristes impatients sont agglutinés devant les grilles, comme une armée de femmes devant les Galeries Lafayette à l'ouverture des soldes. Rien à voir cependant avec les masses compactes de la haute saison, nous dit-on. Tant mieux. A 6h30 précises, les tourniquets font basculer à l'intérieur les premiers visiteurs. Nous entrons rapidement et obliquons sur la gauche, en aveugle, pour continuer à grimper et aborder le site par le haut. La manoeuvre dilatoire des lacets, parcourus à pied cette fois, ajoute à notre impatience. Le chemin noyé dans la végétation débouche sur une petite plateforme taillée dans la roche... On approche... Plus que quelques mètres...
C'est début novembre que CAFE + M avait atterri à Sydney. Depuis l'aéroport, nous nous étions directement rendus à notre hôtel, à Kirribili, sur la rive nord de la baie. Après nous être installés, Eve et moi avions profité de la présence de ma mère pour garder Célestin et Amphélise, et nous promener tous deux en début de soirée. Logés dans les beaux quartiers, à proximité de l'élégant manoir du Premier minsitre, nous savions être pile en face de l'opéra et sa baie environnante, mais depuis cette rive, nous n'avions pas encore vu l'ensemble, masqué par les petits immeubles cossus qui longent le golfe . La nuit était tombée d'un seul coup et nous flânions dans l'obscurité, la tête encore chargée des images de l'Outback, ignorants des guirlandes de lumières que la mer reflétait déjà. Soudain, par une trouée entre deux bâtiments, l'Opéra de Sydney, la Baie de Sydney ont giclé et fondu sur nous sans qu'on s'y attende. Eve, carrément, n'avait pu retenir un petit cri, mélange de surprise et d'émerveillement. A l'image du lieu, que les années avaient patiemment élaboré, venait brusquement de se juxtaposer une réalité sensible. Ainsi, combinant le moment présent avec les années, le voyage se plaît à vous faire naviguer dans votre propre existence, pour faire jaillir en vous des sensations qui se plantent en flêche dans le terreau du passé. Et donnent naissance à un rapport au monde qui dépasse le temps - un flash. Comme l'opium chez Thomas de Quincey.
Addictif, le voyage ?
Nous avançons sur la plateforme rocheuse. Après tous ces lacets, nous ne savons plus très bien où nous sommes sur la montagne. Ô, comme un léger basculement du visage vers la droite peut vous donner la sensation d'un uppercut ! J'esquisse un cri. Le paysage s'est soudain ouvert à nous. Le regard plonge dans le vide - c'est vertigineux. Ces cartes postales, ces reportages, ces émissions, ces posters montrant le Machu Picchu, vus des centaines de fois depuis tout petit, viennent de prendre une dimension de plus. C'est la même chose en complètement différent.
Au nord, baignés dans le brouillard, les cônes noires des sommets lointains. A l'est, la boule jaune du soleil, Inti, perçant le rideau nuageux. Vers le nord, le mythique cône du Huayna Pichu, la jeune montagne, sorti de nulle part en écharpe de brume. Dans notre dos, le sommet du Machu Picchu, la vieille montagne, le front en avant comme pour nous faire basculer dans le vide. A nos pieds, de longues bandes de verdure étagées en ordre serré à perte de vue. Au pied du Huayna Picchu (aussi orthographié Wayna Picchu), la ville, accrochée au dos de la montagne comme une manta sur celui d'un lama : le Palais de l'Inca, la zone des temples, la zone résidentielle. Vide. Desertée.
C'est pour celà que nous sommes venus si tôt : pour profiter de l'ensemble nu, comme prélapsaire, avant que le flot des touristes ne glisse à travers les artères du site et ne bâte les flancs du Machu Picchu de taches de couleurs inappropriées. Et balayant les bâtiments, notre regard peut à loisir les peupler, de même que, lorsqu'on se concentre sur une illustration en 3D, on voit apparaître une forme cachée. L'ensemble est si bien préservé qu'on peut aisément laisser son imagination vadrouiller. On est hors du temps. La solidité du granit a maintenu les bâtiments en parfait état. C'est la folie des hommes qui les a dépeuplés, et l'imagination qui leur redonne vie.
Le Palais présente cette caractéristique de construction inca qu'on avait remarqué dans la rue Hatun Rumiyoc de Cusco, avec la fameuse pierre à douze angles : la roche est taillée avec tant de précision que les pierres sont assemblées sans ciment pour former des murs qui résistent à tout, même aux tremblements de terre. On ne pourrait glisser une pièce entre deux blocs. Le mur aux trois fenêtres, dans la zone des temples, à l'ouest, est architecturée de la même manière. Le village, lui, est constitué de maisons plus simples, dont les parois, moins épaisses et moins hautes, sont cimentées par un mélange de terre. Sur les terrasses, autour, on cultivait le maïs et d'autres céréales.
Le site, sur ce piton de roche, est à la fois loin de tout et parfaitement protégé par les montagnes environnantes. Que recherchait donc Pachacutec, l'Inca qui en ordonna la construction ? La sécurité de l'isolement, la résistance du granit, la relative proximité de Cusco... On y envoyait les notables, en retraite sans doute.
Après nous être promenés à travers le site, nous nous sommes approchés du Huayna Picchu. Lorsque vous êtes au pied de la jeune montagne, votre cou s'étire et votre museau se lève tandis que vous vous dites : "Ouh la !". vous avez un peu plus de la Tout Eiffel à grimper, sur un chemin pas plus large qu'un ongle bordé d'un a-pic impressionnant. Mais attention, CAFE est chaud bouillant ! Il nous faudra une petite cinquantaine de minutes pour atteindre le sommet, à 2693 mètres d'altitude. Non sans avoir traversé les deux cavernes qui en offrent le seul accés. La seconde, dans laquelle il faut se faufiler en se penchant comme une vieille campesina tout en tenant son sac à dos dans la main, s'ouvre vers le ciel pour vous expulser sur le dernier mètre. Elle a quelque chose d'utérin, et comme l'Inca ne faisait rien au hasard... Presque rien n'est construit là-haut, on ne peut que difficilement frayer entre ou sur les gros blocs de granit agencés par la nature. On ne trouve pas ici trace de l'hubris qui jadis poussa Pachacutec à ériger une ville à l'ombre du Huayna Picchu. Autant en bas la volonté était une certaine domination des éléments, autant ici ce sont les éléments qui prévalent et l'Homme qui s'y soumet. Pour le coup, Célestin et moi nous faisons la réflexion qu'ici, on peut trouver un point commun avec les rapport qu'entretiennent les Anangus avec l'Uluru, qui n'a jamais été aménagé, mais selon la configuration naturelle duquel s'ordonne un usage rituel.
Lorsque vous arrivez là-haut, au sommet du Huayna Picchu, vous êtes récompensés largeos. Le point de vue sur le Machu Picchu est remarquable. Le site, vu de cette éminence, forme un X géant strié des murets des nombreuses terrasses agricoles. Le flanc ouest roule pour se plonger dans l'Urubamba, que nous avons franchie quelques heures plus tôt.
Dans l'après-midi, nous avons continué notre promenade à travers le site, avant de filer vers la sortie à 16 heures. Puis de couvrir à pied les sept ou huit kilomètres menant à Aguas Calientes. Nous étions en état d'exaltation. Quelle journée fascinante avions-nous vécue là ! Merveilleux. En chemin, nous avons croisé un groupe de quatre jeunes Français, avec lesquels ont s'est mis à tchatcher non stop. Dans le groupe, il y avait un couple de furieux qui faisaient du camping sauvage depuis la Guyane. Les deux autres arrivaient de Patagonie, nous avions mille questions à leur poser : à peine venions-nous de quitter le Machu Picchu que cette conversation nous propulsait sur notre destination suivante, comme par magie. Amphélise s'est immédiatement entichée de Charlène et lui a tenu la main jusqu'à Aguascalientes, tout en lui racontant ses pérégrinations depuis Phnom Penh.
Sur trois jours, nos chers petits compagnons de voyage venaient de parcourir entre quarante-cinq et cinquante kilomètres à pied, en montagne, et il leur restait une énergie débordante.
Parvenus à Aguas Calientes, nous sommes restés au bord de la rivière, en plein centre-ville, à deviser tous ensemble dans la tiédeur de l'après-midi, sans se soucier du voile d'obscurité qui était tombé sur nous. On était bien, à causer de la République dominicaine, de la Bolivie, du Chili... des chemins qu'on avait pris, de ceux qu'on allait prendre. Lorsque nous nous sommes séparés, notre groupe formait un X strié par les flots de la rivière et les pavés de la route, qui s'est étiré alors que nous nous éloignions, puis a disparu.
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Par pacobalcon le 23 Novembre 2012 à 01:33
Il est 10h30, nous roulons à bord d’un bus de la compagnie Civa, en direction d’Arequipa, plein sud depuis Cusco, vers l’océan. A notre gauche, de l’autre côté de l’allée centrale, mon voisin s’est endormi. Sa casquette pointe vers le bas, et ses yeux, coincés au fond d'orbites ridées, sont deux petites fentes noires que les ballotements du véhicule coudent à chaque virage. Ils n’ont pour rideau qu’une poignée de sourcils en bataille, dont l’un est presque aussi long que la visière de son couvre-chef. De rares poils blancs émergent de la peau tavelée de son cou, prise en écharpe par le col d’un bomber vert sans âge. Il a les mains rassemblées sur son entrejambe et son pantalon de flanelle gris anthracite est léopardé de taches. Son corps inanimé semble prêt à basculer. Il s’arrête à Juliaca, avant Arequipa. A Cusco, en raison d’une erreur d’organisation de la compagnie, on nous a attribué le même siège qu’à lui, et il a attendu, la tête penchée vers le sol déjà, que le tripulante lui désigne un autre fauteuil.
Juste après, notre bus, fatigué comme une vieille bête, s’est ébranlé du Terminal Terrestre de la capitale de l’Inca. Depuis, les machines asthmatiques couinent, et à chaque changement de vitesse, le moteur hurle pour reprendre son souffle comme si c’était le dernier. Les housses d’appuie-têtes, bleu électrique, frappées du logo total flashy de Civa, au-dessus d’une adresse internet, n’auront pas fait illusion bien longtemps. Au fond, après quelques kilomètres, une passagère se plaint : «¡ Las papas son duras, no son cocidas ! » (« Les patates sont dures, elles sont pas cuites !). Mais la paysanne montée à bord pour une vente à la criée deux minutes plus tôt, fait semblant de ne pas l’entendre et descend du bus sans demander son reste.
Un couple de paysans commente chaque scène du Jean-Claude Van Damme diffusé sur l’écran central, avec le son en position à donf. Ils viennent de la jungle, à proximité de Santa Teresa, dans la Vallée sacrée. Elle porte un T-shirt rose sous, non pas une blouse… mais deux ! La seconde, bleue et longue comme une robe, est munie de deux grandes poches ventrales. Lui porte une casquette Adidas noire et deux pulls l’un sur l’autre. Col en V sur col roulé. Ils ont la peau mate et les mains calleuses des producteurs de café de la selva. Notre paysanne n’est pas bien sûre de l’identité des méchants dans le film, et s’écrie à chaque plan : « ¿ Son los malos, son los malos ? ». T’inquiète, campesina, les méchants, ce sont ceux qui se font dézinguer par le Belge.
Autour de nous, après environ trois heures de route, la vallée s’est élargie et la présence des hommes s’est raréfiée – seuls subsistent ici quelques exploitations familiales très espacées. Nous longeons la voie ferrée. On se croirait en Arizona sur cette lande blonde desséchée, exception faite des cumulonimbus, qui comme chaque jour ici, balancent leurs ombres gigantesques sur la roche lointaine, jusqu’aux derniers sommets enneigés.
Nous avons quitté la Vallée sacrée ce matin, après l’expédition de quatre jours qui nous a menés au saint graal : le Machu Picchu /matchou piktchou/.
Nous étions partis samedi à bord d’un mini-van, en compagnie de Canadiens, d’Anglaises, d’une Danoise et d’une autre Française. Au point le plus élevé de l’excursion, environ 4300 mètres, nous avons enfourché un vélo pour descendre les trois mille mètres de dénivelé menant à Santa María, notre première étape. Environ trente kilomètres pour quelques coups de pédales, pas plus – pas trop fatigant. Eve, qui ne porte pas la bicyclette dans son cœur, Amphélise, trop peu à l’aise encore, et Célestin, qui n’avait pas trouvé dez monture à sa taille, étaient restés à bord, à photographier notre chevauchée fantastique.
Le lendemain, nous avons levé le camp tôt pour entamer la randonnée dans la fraîcheur. A la sortie du village, nous avons traversé une rivière pleine de bouillons pour longer, sur l’autre rive, la montagne vers le nord. Le sentier traverse peu après le pont un village fantôme de casas en ruine, précédé de hautes croix de bois auprès desquelles des bouquets de fleurs fanent aux premiers rayons du soleil : c’est le résultat des inondations de 1992, qui ont ravagé la vallée. Voilà pourquoi le village actuel n’est pas au bord de l’eau, contrairement à l’ancien. Nous, en revanche, on va longer les eaux bouillonnantes pendant deux jours. Et la saison des pluies, c’est quand ? Incessamment sous peu… Bon, on y va quand-même.
Sur une quinzaine de kilomètres, nous longeons les plantations des Quechuas du coin : irrigués par une foule de cours d’eau qui roulent en cascades depuis les sommets, sont plantés ici le café, le cacao, la papaye, la banane, la mangue, l’orange… et la coca, bien-sûr ! Elle pousse sur des arbustes donnant de petites feuilles que l’on fait sécher avant de se les fourrer dans la poche des joues, à l’abri derrière la mâchoire inférieure, pour en avaler lentement le suc amer. Pour ce qui est des récoltes, les campesinos, toute l’année, peuvent puiser dans les bananiers et les papayers. Pour l’orange, ce sera en janvier, et pour la mangue, ça approche, mais c’est encore trop tôt... Dommage, c’est le fruit qu’on préfère.
On remonte la vallée verdoyante, tranquillement, jusqu’à un Camino del Inca. Il existe un Camino del Inca, prestigieux, qui mène au Machu Picchu, qu’il faut réserver quatre mois à l’avance, mais ça ne veut pas pour autant dire qu’il n’existe qu’un chemin tracé par l’Inca, surtout que l’Empire inca, au seizième siècle, s’étalait sur plus de quatre mille kilomètres. du nord au sud. La Vallée sacrée est toute entière parcourue de ces sentiers d’altitude.
Par ailleurs, pourquoi pas Camino de los Incas ? C'est dû à un glissement sémantique* : en principe, le terme Inka désigne l’empereur des peuples du territoire - généralement de langue quechua - il ne peut donc y en avoir qu’un… Mais revenons à nos lamas : nous parvenons à un Camino del Inca, donc, après avoir pris de l’altitude. Celui-ci démarre à environ 1800 mètres, lorsque la vallée est devenue moins luxuriante. Le flanc de la montagne a été creusé, sur environ un mètre dans la roche sédimentaire, pour faire place à un escalier de roche sur lequel, dit-on, les messagers de la grande époque, les chaski, couraient à perdre haleine, chaussés de sandales de cuir, pour répandre les dernières nouvelles à travers l’Empire. Difficile d’emprunter ces chemins sans songer aux difficultés que leur construction a engendrées. C’est phénoménal. D’entre les pierres assemblées, à l’horizontale, jaillissent des orchidées rouges qui semblent s’accommoder fort bien de cet univers minéral. Au bout de longues tiges toutes fines, elles balancent leur tête au-dessus du vide. Des agaves, gros cactus ressemblant à des fleurs plantées sur des troncs, se dressent avec régularité sur le chemin, comme un dromos végétal. Par moments, la roche affleure de telle manière que l’on peut se tenir dans le vide et observer la vallée tout en profitant du vent. En contrebas, dans la fin de l’après-midi, nous nous délassons dans des vasques d’eaux thermales chaudes, au pied de la sierra. Parfait pour finir la randonnée. Autour de nous, peu à peu les montagnes disparaissent dans la nuit. Les cris de quatre Gaulois s’ébattant dans l’eau se perdent à travers l’immensité péruvienne.
Nous continuons jusqu’à à Santa Teresa, juste à côté. Le village est plein d’hospedajes et de restos : on approche du Machu Picchu. Mon genou n’a pas supporté la descente de plusieurs kilomètres sur les hautes marches du camino. De surcroît, les petits moustiques de la jungle, d’une voracité hallucinante, m’ont tracé une toile aborigène sur le mollet, tout en petits cercles rouges. Bref, une bande de gaze pour le genou, de la bétadine pour les mollets – j’ai une pure classe de ouf. On a tous été piqués, mais c’est moi qui ai placé la barre le plus haut. Hé hé… Mais ça gratte, d'une force !
Le lendemain, c’est juste au bord de la rivière, à côté des eaux bouillonnantes, que nous randonnons toute la journée. Une quinzaine de kilomètres, pas trop difficiles, sur du plat. On traverse et retraverse la rivière au gré des ponts suspendus qui l’enjambent. La végétation, devenue bien moins dense, laisse affleurer la roche grise du canyon. Nous parvenons à ce que tous ici nomment la hydroeléctrica, l’immense complexe qui produit l’électricité consommée à Cusco, en aval. Des travaux sont en cours pour en augmenter le débit. Les maisons des ouvriers, à proximité, sont de confortables bâtiments bien entretenus. Des Vokswagen Amarok, gros pick-ups rutilants, sillonnent la zone. Il y a du fric, ici. Juan, notre guide, me confie : « C’est sûrement une entreprise chilienne, brésilienne ou américaine… Les Péruviens ne savent pas s’organiser ainsi ».
Cette triste analyse va dans le droit fil de ce qu’il me dit depuis deux jours, ainsi que de ce que l’on entend systématiquement, soit en parlant avec David, un autre guide, soit avec le portier de l’hôtel Solar, à Cusco, soit au hasard des rencontres. Nous avions bien eu un autre son de cloche, en discutant avec un chauffeur de taxi de Lima, mais comme il avait avancé que d’après les dernières statistiques, la gastronomie péruvienne allait bientôt dépasser la gastronomie française, son opinion avait dû être prise en compte avec précaution…
Le gouvernement, manifestement, n’a pas la confiance des Péruviens. La corruption est considérée comme monnaie courante à tous les niveaux de l’administration du pays. Cependant, paradoxalement, on attend beaucoup de lui, et la situation péruvienne, bien moins favorable que celle de ses voisins chilien et brésilien, est considérée comme la faute des gouvernants, uniquement la leur. Une casuistique bon marché, sans doute… Juan ira même plus loin, en affirmant que c’est « dans les gênes des peuples andins de tout faire foirer… ». Selon nos interlocuteurs, personne ici ne fait confiance à personne. Triste tableau !
Il est vrai que l’on croise ici des femmes et des hommes, des enfants même, au regard sombre. Parfois, les gestes sont mécaniques. Les corps, penchés vers l’avant comme celui de mon vieux voisin, sont courbés sous le poids de sacs multicolores – et du sort. Une mélancolie péruvienne ?
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : l’héritage de l’Inca est bien difficile à porter. Qu’on en juge ! Des millions de touristes viennent ici chaque année pour toucher du doigt une civilisation disparue - disparition qui trouve son reflet linguistique dans le glissement sémantique « Les Incas ». Mais c’étaient des Quechuas ! Et aujourd’hui, de nombreux Quechuas se retrouvent donc à faire l’article de cette civilisation idéale et disparue, et grandissent dans l’ombre presque humiliante du Machu Picchu, comme les Arméniens dans celle de cet Ararat qui ne leur appartient plus. Et la peine est double : d’une part, la manne touristique est bien mal répartie – où sont les (presque) cinquante dollars que coûte la visite couplée du Machu Picchu et du Huayna Picchu, pour un adulte ? D’autre part, l’apport touristique a contrarié le développement de l’industrie du pays, plus attiré par cet argent facile.
C’est sur ces entrefaites que nous sommes parvenus, le troisième soir, à Aguas Calientes, au pied du prestigieux site. La ville a pour origine et pour fonction de loger et nourrir les touristes venus passer une journée au Machu. Pour autant, elle n’a rien de désagréable. Plus qu’à découvrir le site, et, comme je l’avais déjà écrit, juxtaposer la réalité à l’image, avant que cette réalité ne se mue à nouveau en image. Cette journée merveilleuse sera l’objet du prochain article.
Cette après-midi, dans le cadre de l’intégrale du cinéma de baston du Plat-pays que nous a imposée le tripulante, on a retrouvé Van Damme dans une production aux costumes empruntés à Fort Saganne. Si si. Le plus mauvais film de l’histoire du cinéma, qui pourtant en compte tant ? C’est bien possible. Même nos voisins de Santa Teresa ont décroché. Peu importe, c’est à l’extérieur que le spectacle se poursuit. En avançant vers le sud, le paysage est devenu plus aride encore. La plaine s’est élargie comme sous un rouleau, repoussant plus loin les montagnes. Pas un village sur plusieurs centaines de kilomètres. Le désert. Ce n’est qu’à l’approche d’Arequipa que le relief s’est à nouveau imposé autour du ruban anthracite de la route. Les montagnes, dans un dégradé de brun, se sont couvertes de cactus semblables aux saguaros mexicains. Comme sur la région de Cusco, elles ont l'épaule bien souvent couvertes de géoglyphes vantant tel ou tel parti politique, auxquels personne ne prête attention. L'invention des Nasca se perd dans les sables d'une propagande sans éclat.
Après la traversée de faubourgs tout en brique rouge, nous entrons dans la ville, gardée par le cône parfait d’El Misti. Arequipa.
* The term Inka means ruler, or lord, in Quechua, and was used to refer to the ruling class or the ruling family in the empire.The Spanish adopted the term (transliterated as Inca in Spanish) as an ethnic term referring to all subjects of the empire rather than simply the ruling class. As such the name Imperio inca (Inca Empire) referred to the nation that they encountered, and subsequently conquered. (Wikipedia)
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Par pacobalcon le 16 Novembre 2012 à 19:45
Ca va, merci. Nous logeons désormais dans un petit hostal de la Plaza San Francisco, et notre chambre, au premier étage, accessible par le balcon, donne sur un patio à colonnade où un carré de verdure nous permet de prendre le soleil... Quand il pointe le bout de son nez - ajoutons que l'établissement ne nomme El Solar. Car en général il fait frisquet, à cette altitude, et après plus de quatre mois de cagnard, il faut réapprendre à enfiler une polaire, comme un geste oublié.
Pour découvrir la ville, nous avons choisi l'option tranquillité maximale. On se promène, on baguenaude dans les venelles de cette cité classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. Celles-ci débouchent le plus souvent sur des Plazas où les Péruviens aiment à se prélasser, seuls ou avec des amis. La Plaza de Armas, la Plaza de las Nazarinas, la Plaza San francisco, la Plaza del Regocijo, etc. Sur la Plaza de Armas, la plus grande de toutes, une ribambelle de chemins dallés mènent à une monumentale fontaine prise en photo à longueur de journée par des touristes qui font les acrobates pour l'occasion, genre « je la tiens dans mes mains ». Ces chemins encadrent des triangles de verdures bordés de bancs que gardent des réverbères ornés de têtes de félins. Les touristes s'y promènent et les Cusqueňos s'y retrouvent pour bavarder. La place vibre au quotidien sous les deux paires de grands yeux carrés de la Cathédrale de Cusco et de l'Eglise de la Compagnie de Jésus. Tout autour, des arcades abritent une foule de restaurants pour touristes - il y a même un Mc Do' et un KFC ! - et de micro-agences de voyages qui vendent toutes peu ou prou les mêmes produits, à savoir tours de ville ou bien excursions au Machu Picchu, à la journée, ou sur deux, trois, quatre ou cinq jours. Pour ce qui est du célèbre Inca Trail, randonnée de quatre jours sur le chemin de l'Inca, les réservations sont closes jusqu'en mars. Dans quatre mois ! Pour l'Histoire, c'est également sur cette place que fut promenée, au bout d'une lance, la tête du dernier Inca, Tupac Amaru, après sa mise à mort sur ordre du successeur de Pizarro, sous les deux paires de grands yeux sévères du Père Alonso de Baranza et du Père Molina. Trois siècles plus tard, c’est au sommet de la fontaine que trône la statue de Manco Capac, le premier Inca, aïeul de Tupac Amaru, en tenue d’apparat, le doigt glorieusement tendu vers les sommets.
D’où que l’on se situe sur la Plaza de Armas, on aperçoit les rondeurs des contreforts de la Cordillère. Les plus proches, comme San Blas, font partie de la ville, et les plus éloignés arrachent le regard à la ville pour le perdre dans les replis secrets du Pérou, là où ce n’est pas pour les touristes que les femmes portent la montera - un chapeau plat – la longue robe rouge et la manta de laine multicolore sur les épaules. Car hélas, certaines Indiennes, ici, se promènent toute la journée ainsi accoutrées, un jeune alpaca au bout d’une longe, dans l’espoir de grappiller quelques soles si on les prend en photo. Le soir, les lumières qui affluent depuis les bâtiments alentours dorent la Place. Les collines, à proximité, se recouvrent de taches de lumière sous le bleu intense des derniers instants du jour. C’est magnifique.
La Plaza de las Nazarenas, c’est la plus chic. Au pied de San Blas, cet adorable rectangle de poche est bordé des murs blancs de trois hôtels de grand standing et du Múseo de Arte Precolombiano. Ces hôtels, dont les prix dépassent allègrement les mille euros pour une chambre, renferment des œuvres superbes : le Palacio Nazarenas a pour bureau de réception un autel en bois peint du seizième siècle parfaitement conservé, et le Monasterio, lui, s’est carrément attribué la chapelle attenante, dont les parois, jusque dans leurs derniers centimètres carrés, sont couverts de retables dorés plus baroques les uns que les autres. Les portes du monument, accessible depuis l’hôtel, sont habituellement fermées, mais nous avons pu nous y glisser quelques instants lors de l’arrivée d’un groupe de vieux Americanos en tenue de randonneurs hi-tech, car à l’occasion le temple avait été transformé en hall d’accueil, avec maté de coca sur plateau tenu par un groom en livrée. Nous n’avons pas fait illusion longtemps, et le maître d’hôtel nous a vite fait signe de retourner à l’extérieur.
La Plaza de San Francisco, devant notre hôtel, est la plus authentique. Peu de touristes la fréquentent et des centaines de Peruanos y regardent chaque jour passer le temps. Au pied d’un arbre, des enfants en uniforme scolaire bleu et blanc y jouent aux billes, pendant que des brochettes d’abuelas, assises sur un muret, devisent en gardant un œil sur leurs petits-enfants. Les couples d’adolescents, sur les bancs ombragés, s’embrassent goulûment – quelle différence par rapport à l’Indonésie musulmane, où les jeunes s’isolaient comme des fugitifs pour simplement se tenir la main ! Au loin, à flanc de colline, on peut distinguer un géoglyphe : Viva el Perú.
Ces places font de Cusco un damier plissé par le relief.
La ville est très touristique – les prix du centre en témoignent – mais, pour autant, elle n’est pas infestée, c’est une cité dynamique qui n’a pas que l’industrie du tourisme pour moteur. Entre dix-sept et dix-neuf heures, chaque jour, les écoles, entreprises, magasins, locaux associatifs… libèrent des nuées de Cusqueňos qui rentrent chez eux en riant, en chantant, une glace, un chicharrón ou un beignet à la main. C’est très joyeux. Ca se bouscule, ça klaxonne... C’est le boxon. Les bus sont pleins à craquer. Les élèves du Colegio Real, une école privée, descendent la ruelle pavée menant à la Plaza de Armas par centaines. Leurs homologues des écoles publiques, eux, sont sortis dès le début de l’après-midi, l’investissement de l’Etat n’étant pas suffisant pour financer des journées complètes de cours – ce qui explique pourquoi tant de Péruviens se saignent pour la scolarité de leurs enfants.
En dépit de notre entreprise de découverte pépère des lieux, nous avons eu l’audace… de sortir de la ville. Eh oui ! Nous avons poussé au nord-ouest, au cœur de la Vallée sacrée, jusqu’à Moray, et, plus loin, aux Salineras de Maras. Moray est un ancien centre de recherche agricole inca. Pour y parvenir, nous traversons un patchwork de champs, à presque quatre mille mètres d’altitude, où se cultivent la papa (la pomme de terre) et diverses céréales. Vaches et moutons paissent ça et là. Nous nous sommes rapprochés de la Cordillère, et les hauts sommets, tous à plus de cinq mille, sont désormais bien visibles : le Chicón, le San Juan, la Verónica, au col couvert de neige, dont les flancs sont broutés par les ombres d’altocumulus immobiles. Encore une fois, nous sommes frappés par l’immensité des lieux, qui ondulent sous les roues de notre mini-van.
Après environ quarante kilomètres dans la plaine blonde, le sol s’ouvre pour découvrir une falaise tombant sur un étrange agencement d’anneaux concentriques remontant à la surface. C’est le centre de Moray, un espace où apparemment les Incas tentèrent une expérience agricole. Il semble que ces anneaux en plateaux reconstituent les différents climats existant au Pérou. Tout au fond, les Incas auraient fait pousser du maïs, plante de basse altitude, au milieu du dispositif des céréales comme le quinoa, et en haut, d’autres céréales comme le blé, ainsi que des pommes de terre. Chaque anneau est pourvu de plusieurs volées de trois ou quatre marches latérales, des pierres qui dépassent du cercle et que vous descendez vers la droite ou vers la gauche pour atteindre le disque central, le plus petit, en bas. Sur ce disque, des chamanes invoquent l’énergie de la Pachamama, la terre nourricière. En remontant, nous avons constaté que ce système d’anneaux concentriques avait été construit en trois exemplaires – un seul a été rénové, mais les autres, plutôt bien conservés, sont également remarquables.
Dans l’après-midi, nous avons visité les salinares de Maras, une plantation de sel de haute altitude, dont les petits œillets blancs sont presque difficiles à regarder à la lumière du soleil. Comme à Guérande, près de Nantes, c’est une coopérative qui régit l’exploitation du lieu. Depuis la montagne, une source d’eau à la salinité élevée (plus de soixante grammes par litre, contre trente-cinq en moyenne dans les océans) est canalisée à travers ce drap blanc dont ne dépassent que les pierres brunes qui délimitent les œillets. Après évaporation, seul reste le sel gemme, ramassé, par les paludiers, en monticules dont le sommet, comme la fleur de notre chère Loire-Atlantique, constitue la denrée la plus appréciée, la plus chère. En descendant vers le creux de la vallée, la nappe s’affine comme un bec de pélican avant de disparaître. Dans un mois, à la saison des pluies, toute l’exploitation sera brunie par les eaux, nous sommes arrivés juste à temps !
Hier, nous avons promené notre museau dans les salles du MAP, le Múseo de Arte Precolombiano, qui est une succursale du musée Larco Herrera de Lima, que nous avions tant apprécié. La collection est globalement répartie par civilisations : Chimú, Nazca, Moche, Inca. Des statues en bois, des céramiques, de l’orfèvrerie… datant parfois de plus de trois mille ans. Des pièces de premier ordre, notamment parmi les effigies en bois, ou les vases chimú et moche. Pour ce qui est des effigies en bois, le tintinophile que je suis a vu remonter à la surface, en une seconde, la petite statuette à l’oreille cassée. C’était émouvant. Sur certaines céramiques, une recomposition du corps humain est opérée et rappelle de manière intrigante le cubisme.
C’est surtout le nom des Incas que l’Histoire a retenu, néanmoins les autres civilisations du territoire aujourd’hui nommé Pérou avaient atteint un degré de raffinement assez stupéfiant.
Il est 13h30, et depuis ce matin, mes chers compagnons et moi travaillons à nos journaux respectifs dans l’ambiance agréable du Kushkafé, assis sur des matelas recouverts de mantas, le dos contre des coussins multicolores. A nos côtés, deux Péruviennes sirotent un maté de coca en parlant de leurs activités professionnelles. La lumière nous parvient, à travers les deux battants ouverts de la porte de bois, depuis la Plaza del Regocijo, où une vieille employée de la Ville, coiffée d’un chapeau à larges bords, arrose un eucalyptus. Les nuages masquent le ciel, ils sont comme des montagnes blanches au-dessus de la Cordillère.
Pour continuer en sonorama, cliquer ici :
Cet après-midi, nous avons visité l'Eglise de la Compagnie de Jésus, sur la Plaza de Armas. Le bâtiment est moins imposant que la Cathédrale, sur la même place, car à l'époque de sa reconstruction, en 1650, après un tremblement de terre, l'Evêque de Cusco s'était offusqué à l'idée que les Jésuites construisent un temple plus imposant que sa cathédrale. L'affaire s'était réglée plans à l'appui dans la ville de Lima, devant les autorités. Les Jésuites avaient accepté de diminuer l'ampleur de l'édifice, pour soulager son ombrageuse voisine. Mais en loucedé, ils augmentèrent la hauteur des colonnes. Bien joué, Ignace (bon, il était déjà mort, mais quand-même...) !
Dès l'entrée, d'ailleurs, c'est lui qui vous accueille, représenté à quatre reprises sur un quadriptyque à la gloire des Compagnons de Jésus. Un panneau célèbre la conversion des Incas sur la base d'un mariage interéthnique, un autre est consacré aux pauvres, un autre aux nobles, et le dernier, le plus funky, montre un Loyola en plein kif, écrasant à terre les figures de Calvin, Luther, Wesley et compagnie d'un coup de botte très sûr, le doigt sur les écritures. Eve et moi nous lançons donc dans une reconstitution enlevée de la scène afin de faire comprendre à Célestin et Amphélise les enjeux religieux du seizième siècle. Qu'en restera-t-il ? Au moins étaient-ils intéressés. Ils ont été motivés également, par le retable du choeur, de dix-huit mètres de haut, chapeauté par un Père éternel à la figure de notable espagnol, tenant fermement dans ses mains un globe. C'était environ trois cent cinquante ans avant la crise qui frappe aujourd'hui l'Espagne et tient fermement dans sa main près de la moitié de ses jeunes au chômage - même les Péruviens semblent sensibles au sort actuel de nos voisins ! Un peu partout dans l'église, des signes de l'acculturation du Catholicisme se font voir : un Christ-Inca, un Divin enfant coiffé d'un bonnet péruvien...
L'église était un de nos derniers monuments à Cusco. En effet, nous partons demain pour une randonnée de quatre jours… L’aventure continue ! Mardi prochain, au lever du soleil, nous grimperons les flancs du Machu Picchu. Se savoir si près du site, imaginer qu’on va juxtaposer la réalité à l’image d'Epinal, avant que cette réalité ne se mue à nouveau en image, est toujours un moment fort. Un moment de plus dans ce périple extraordinaire. Le voyage est une besace sans fond, dans laquelle on puise des trésors de temps. Quel bonheur…
Pour terminer votre lecture en sonorama, cliquer ici :
* Trouve le nom de la chanson locale qui se cache derrière ce titre pour gagner ton poids en feuilles de coca !
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Par pacobalcon le 13 Novembre 2012 à 02:38
Le 10 octobre, nous avons embarqué à 17h15 à Lima, dans un confortable bus imperial cama de la compagnie Tipsa. A la gare routière de Javier Prado, on procède comme dans un aéroport : les bagages sont déposés à l’enregistrement, puis on monte à bord. Il y a deux chauffeurs pour se relayer au volant, et un tripulante, hôte d’accueil qui sert les plateaux repas, nettoie les toilettes et lance des DVD diffusés sur trois écrans de la cabine. Il faut dire que le trajet dure vingt et une heures. Nous sommes arrivés à 13h15 le lendemain, trois mille quatre cents mètres plus haut. On a eu largeos le temps de bouquiner, de regarder des films, d’écrire, de bosser…
Hélas, les camas (lits, en français) sont plus théoriques que propices au sommeil. Eve n’a pas dormi de la nuit, les enfants une poignée d’heures, et moi deux ou trois. Ajoutez plus de trois mille mètres d’altitude à tout ça, et vous auriez trouvé quatre Gaulois littéralement explosés à la sortie du bus. On tenait à peine debout, les yeux se fermaient – et il fallait trouver un hôtel, qu’on eût aimé sympathique car on allait passer quatre ou cinq jours sur place. Pas évident…
Au lever du jour, néanmoins, c’est avec des yeux grands ouverts que nous avions vu, à travers les fenêtres du car, le soleil poser ses premiers rayons sur la Cordillère des Andes. Le véhicule, une bonne partie de la nuit, avait longé l’océan vers le sud et roulé sur une chaussée bien ficelée dans la plaine péruvienne. A l’heure du tigre, donc, il avait obliqué vers le nord-est pour frayer à travers les montagnes vers le cœur du territoire inca, où les sommets dépassent les six mille mètres, tout de même. Les premiers contreforts de la Cordillère, comme la plaine que le bus venait de quitter, sont nus comme la paume de la main. En s’élevant, la roche gris-brun prend ses aises et se déploie d’une manière inattendue : elle prend du relief et se creuse en larges canyons que notre autocar a traversés lentement. Ca et là, des touffes de végétation sèche comme des poignées de crépon grattent le sol aride. Certains virages nous permettaient d’avoir une vue dégagée, et le paysage donne une réelle impression d’immensité. C’est somptueux. Alors que nous continuions de grimper, nous avons vu au loin les mesas qui se dressent sur la crête comme des sentinelles minérales. Elles font obstruction au passage des nuages venus de l’est. Les masses blanches et cotonneuses les pressent doucement comme des écharpes. C’est la raison pour laquelle ce versant de la cordillère est si sec. Comme de surcroît les courants froids du Pacifique empêchent toute formation nuageuse depuis l’ouest, la longue bande de territoire péruvien sur laquelle nous nous trouvions n’est pas arrosée. Les rares hameaux que nous avons croisés sont constitués de maisons fabriquées en terre cuite, sans étage, et ce sont des amas de pierres disposées en « O » qui forment les enclos dans lesquels on garde les troupeaux d’alpacas. Il n’y a presque personne… Célestin nous rappelle avoir appris en géographie que le désert se définit principalement par une densité de population extrêmement basse – il a donc pu constater avec nous que cette partie des Andes correspond aux critères.
Nous avons poursuivi notre escalade jusqu’au sommet, et sur le versant est, c’est un tout autre environnement qui s’offrait à nous. Les flancs, de ce côté-ci, sont plus arrosés et la verdure a désormais sa place. Mais ce n’est pas encore la jungle, loin de là – ce n’est que plus à l’ouest, de l’autre côté de la Cordillère que débute l’Amazonie. C’est un paysage de cactus, d’arbustes et d’arbres au tronc fin que nous avons trouvé là. L’ensemble est bien moins désertique : nous avons traversé plusieurs villages en nous approchant de Cusco. La capitale de l’Empire inca, que Manco Cápac, le premier empereur, choisit pour sa fertilité : il avait à plusieurs reprises lancé une barre d’or aux alentours, mais c’est ici qu’elle se planta dans le sol. Cusco devint par conséquent le haut-lieu des Incas.
Un haut-lieu ou quatre Gaulois, hier matin, les traits tirés, ont passé deux heures à chercher un hôtel. Pour finir dans un hostal borgne… L’hôtellerie, dans cette ville très touristique, se répartit en trois catégories. Une palanquée d’établissements chics et chers, pas mal d’hostales sympas, où les chambres sont disposées autour d’un patio – mais la plupart sont des party places où la musique est diffusée à donf jusqu’à deux heures du matin. Ils sont d’ailleurs généralement pleins. La troisième catégorie est constituée d’hôtels glauques. Nous avons fini par prendre le moins glauque dans cette dernière, pour notre première nuit sur place. Puis, alors que les enfants se reposaient, nous sommes repartis en chasse et avons mis la main sur un hostal disposant d’un patio et plutôt calme. Nous avons donc déménagé ce matin. C’est cette après-midi que nous partons à l’assaut de la ville, car nous étions dans le gaz, hier, lorsque nous avons traversé la Plaza de Armas pour trouver à manger, mais même dans notre état semi-comateux, ce vaste zócalo entouré de bâtiments coloniaux et d’une cathédrale dont la construction remonte à 1560, niché au creux de montagnes visibles de partout en ville, nous avait déjà emballés.
A l’attaque !
* Bon celui-ci, on ne va pas s'étendre dessus...
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Par pacobalcon le 12 Novembre 2012 à 00:41
Lima a mauvaise réputation. Pas comme Caracas ou Mexico, mais tout de même. On a pu la dire grise, violente, inintéressante, voire laide. Du côté de CAFE, les impressions sont différentes. Bon, on ne s’est pas esbaudi à chaque pas devant la beauté du site, mais finalement, on y a passé trois journées tout à fait plaisantes. Enfin, deux surtout, car nous étions vannés à notre arrivée, encore plus que nous le pensions. Lorsque vous volez d’Océanie en Amérique, vous passez au-delà du dernier fuseau, c’est-à-dire que vous changez complètement d’horloge : en Australie, nous étions très en avance sur le GMT (de dix heures), là nous passions en retrait de cinq heures. Ce qui fait qu’en quelque sorte, vous perdez la notion du temps, c’est très étrange. Nous nous sommes donc couchés tôt le jour de l’atterrissage, mais notre horloge biologique, elle, ne nous a pas laissés allongés longtemps. Ce n’est qu’au petit jour que nous sommes endormis, mes chers compagnons de voyage et moi, après une nuit sans sommeil. Pour ouvrir un oeil vers midi, décalqués.
Notre deuxième jour sur place (le premier complet) s’est donc déroulé comme dans un tunnel – on n’est presque pas sortis de l’hôtel. Cela dit, la chambre en elle-même nous rappelait à l’heure péruvienne plus sûrement qu’un condor en bonnet multicolore… Elle regroupait un plafond haut comme celui d’une nef, où se rejoignaient deux petites trappes arrondies dont l’accès, inatteignable depuis le sol, laissait la porte ouverte à notre imagination ; un miroir au cadre doré de dimensions gigantesques, qui couvrait quasiment un mur entier ; une tablette, dorée aussi, placée contre la paroi ; et, surtout, une terrasse logée dans un superbe encorbellement chemisé de bois, donnant sur la rue. Sur cette terrasse tout en longueur, une multitude de volets nous autorisaient à contrôler l’irruption de la lumière dans notre chambre. Sous ceux-ci, trônant sur une table basse, une statuette en terre cuite de type inca rappelait la décoration du reste de l’hôtel, équipé comme un musée de fortune : dès la réception, disposées sur trois étagères en équilibre précaire derrière une vitrine de guingois, d’autres statuettes blotties dans une épaisse couche de poussière, le regard inquiet, nous avaient vu arriver à l’hostal España, 105, calle Alzangaro. Elles semblent dialoguer en silence, depuis le fond des âges, avec la foule de statues banches qui sont les autres résidents permanents de l’établissement. Des créatures de papier mâché recouvertes de peinture mate, qui font office de sculptures néo-classiques. Une immense tête d’Alexandre le Grand posée à même le sol, l’œil gauche transformé en cœur par un visiteur facétieux ; une Vénus de Milo faisant office de vigie à l’entrée du bâtiment ; une ribambelle de chérubins soufflant sur le dos des résidents… Que font-elles la nuit, cette cohorte de figures blanches ou brunes – dansent-elles sous les lustres de cristal bon marché rythmant les longs plafonds de l’hôtel, ou bien continuent-elles de se toiser dans un classicisme bien sage ?
Au troisième étage, une vaste terrasse aux multiples recoins, peuplée de paons, de tortues, de pigeons en mouvement autour d’autres statues néoclassiques, se recouvre lentement de chiendent, prise par la verdure. Comme dans une gravure de Piranèse, la plateforme se rétrécit puis débouche sur un petit escalier menant à une autre plateforme, plus petite, sur laquelle, à l’opposé, dissimulé dans un autre recoin, un escalier mangé par la vigne qui mène à une autre terrasse, puis un autre… Parvenus à l’avant-dernière terrasse –la dernière était inaccessible, encore ! - nous nous sommes retrouvés face à l’église Sán Francisco, dont nous aurions presque pu toucher les dômes du doigt, tant ce labyrinthe nous en avait rapprochés. La nuit où nous avions suivi ce dédale, avions-nous donc versé dans un Chemin aux sentiers qui bifurquent à la Jorge Luis Borges, et basculé dans le réalisme magique latino-américain ? Et les trappes de notre turne, deux petites portes arrondies que l’on ne pouvait ouvrir sans échelle, où menaient-elles ? Permettaient-elles de fouiller le cœur de la ville, où au contraire de s’en échapper ? Pénétrer au cœur des bâtiments coloniaux aux larges façades ocres, jaunes ou bleu-vert presque sans fenêtres barrés d’encorbellements en équilibre sur la rue, ou s’en dégager ? Quelles instructions aurait reçu Corto Maltese ici, au creux d'une lettre cachetée déposée dans la vigne par un brujo ? Ces statues blanches et ces petites sculptures brunes, la bouche ouverte, quelle langue parlaient-elles dès que nous avions le dos tourné ? Sans doute un idiome uniquement constitué de substantifs, des noms renvoyant aux objets et aux notions, un idiome débarrassé de toute conjugaison – trop éphémère, trop humain… C’est la tête pleine de questions que nous sommes allés nous coucher le deuxième soir.
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Le troisième jour, malgré une nuit en pointillé, nous étions prêts à affronter la ville. Hop, direction la Plaza Mayor, aussi appelée Plaza des Armas, à trois cuadras de notre hôtel ! Sur cette jolie place, typique des zócalos d’Amérique latine, trône au centre une haute fontaine de bronze du seizième siècle, toute ronde, à étages, dont la cascade donne un rythme alangui à ce parvis plutôt moins emprunté par les voitures qu’ailleurs. Ici, on est à l’abri des klaxons qui partout dans le reste de Lima fusent pour un oui ou pour un non. Autour de la place, se trouvent entre autres le Palais du Gouvernement, l’Hôtel de Ville et la cathédrale. C’est le premier qui nous avait attirés ici, pour la relève de la garde, qui a lieu chaque jour à midi.
Lorsqu’arrive l’heure, une musique presque funky se fait entendre. C’est, derrière la grille du Palais, la fanfare militaire qui entonne l’accompagnement de la relève, sur un air chaloupé. Elle se compose d’une section de cuivre à la puissance d’un croiseur (trois soubassophones, des trombones et une ribambelle de trompettes), une section de saxophones et des percussions (grosse caisse et cymbales). A gauche devant nous, en rang et immobile, la garde patiente, pendant qu’un trompettiste déchaîné… se lance dans un solo ! Et un sax alto prend le relais ! Zi-ba-doum-staf-staf ! Imaginons un instant l’orchestre de la Garde Républicaine française faire de même pendant que les chevaux marchent l’amble… Pour continuer,la fanfare nous gratifiera également d’un El condor pasa (si si !) et d’un air classique européen. Applaudissements, et tout le toutim.
La Garde traverse l’esplanade et disparaît lentement tandis qu’au fur et à mesure la nouvelle Garde prend sa place. La chorégraphie est savoureuse : on lève un genou à hauteur de poitrine, on baisse la jambe d’un coup sec sans toucher le sol, la cheville fait basculer le pied vers le haut, puis, toujours avec la même jambe, on fait un grand pas en avant. Et ainsi de suite. Le Général Alcazar n’aurait pas rêvé mieux. Sur le perron, de chaque côté de la porte d’accès à double battant, un duo de trompettistes interviennent par moments pour rehausser le cérémonial. Eve entend une spectatrice ponctuer, parfois, d’un « ! Perú, levántate !» ("Pérou, lève-toi !").
Nous nous sommes plus tard rendus au musée Larco Herrera, dans le quartier de Pueblo Libre, à l’ouest du centre ! Rafael Larco Hoyle est un homme qui depuis les années trente jusqu’à sa mort, en 1966, a arpenté le pays en tous sens pour y dénicher des pièces qui lui permettraient de dresser un historique des civilisations précolombiennes, les Moche, les Chimú, les Nazca, les Incas... Il en a amassé quarante-cinq mille, qu’il a rapidement présenté dans un musée, à la portée de tous. Un objectif pédagogique qui sous-tendait cette mission scientifique.
Le musée est installé dans un superbe bâtiment blanc d’un étage bordé de jardins fleuris joliment entretenus. L’accompagnement pédagogique, initié par Larco et poursuivi depuis, est d’une clarté très plaisante et fait de ce musée un modèle culturel. Il permet, un tant soit peu, de faire le tri dans cette collection foisonnante. Y sont exposés des pièces très anciennes, comme un mortier sculpté datant de plus de trois mille ans, et des tableaux ou des retables du dix-septième siècle, après la Conquête.
On connaît tous la fascination des sociétés précolombiennes pour le soleil et la lune, qui se reflétait dans les masques, plastrons et autres ornements taillés dans l’or ou l’argent. Mais la visite de l’établissement vous apprend que ces sociétés, essentiellement agricoles, vénéraient également une trinité divine qui répondait au désir d’avoir de bonnes conditions pour l’agriculture, donc la survie de la communauté – y compris la régularité climatique. Ainsi donc se combinèrent l’oiseau - venu du ciel et sensé favoriser la pluie – le félin – animal terrestre représentant la capacité des hommes à travailler la terre– et le serpent – animal souterrain symbolisant la qualité du sol, et donc des futures récoltes. De fait, nous avons pu voir dans cette magnifique exposition de nombreuses statuettes anthropomorphes qui associent à l’homme des crocs de félin, des cheveux de serpent et des attributs ornithologiques.
Par ailleurs, nous avons senti germer les acquis de ce voyage, du fait qu’un sens anthropologique commence à émerger de ce périple à travers la planète – sens que nous essayons de transmettre à Célestin et Amphélise. La visite du musée nous a par exemple fait observer dans cette organisation d’un souci climatologique l’écho des préoccupations des paysans torajas du Sulawesi, qui nous confiaient en octobre que les efforts fournis dans leurs si belles rizières resteraient lettres mortes s’il ne pleuvait pas rapidement.
D’autres points communs ont surgi. Dans ce musée, l’accent est mis sur l’acculturation du catholicisme en Amérique latine, ce síncretismo qui fait qu’à partir du seizième siècle, sous la férule des Espagnols, les Indiens, forcés de fabriquer des icônes chrétiennes, y intégrèrent leurs propres figures ancestrales, discrètement puis de plus en plus manifestement. Ce qui nous a amenés à établir une passerelle avec ce que nous avions constaté chez les Dayaks de Kalimantan, à savoir un christianisme teinté d’animisme, avec les danses effectuées autour des temples construits dans les longhouses.
De surcroît, la manière dont les Incas considèrent que les ancêtres ont créé la Terre nous a rappelé la Tjukurpa des Anangus du Northern Territory australien, selon laquelle ce sont les premiers Aborigènes, hommes et animaux, qui par leurs déplacements ont créé les montagnes et les rivières, à partir d’un territoire vide et plat ; enfin, les sacrifices incas, bien que de fonction et de forme différente, nous remettaient à l’esprit les séances remarquables des cérémonies funéraires torajas, de même l’importance pour les Incas d’enterrer leurs morts (les plus prestigieux) avec des apparats d’une richesse stupéfiante, rencontrait l’écho de ce que nous nous étions dit au sujet des Torajas, qui passent une bonne partie de leur vie à préparer leur mort.
Sur le sol fertile du voyage ont germé ça et là des fleurs que nous pouvons désormais nous mettre à ramasser en bouquet, des impressions, des sensations, des connaissances qui finissent par constituer une – modeste – carte des comportements humains.
La visite du musée se termine par une petite salle, à l’écart, dans laquelle sont exposées les pièces érotiques des sociétés précolombiennes. Au-delà de la fonction propitiatoire de cet artisanat, visant à favoriser la pérennisation de l’espèce, certaines pièces montraient des actes sexuels tels que la fellation ou la sodomie – plus, si affinités ? L’ensemble, présenté avec sobriété et clarté, témoignait bien de la maturité des curateurs.
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Le lendemain, pour notre dernier jour sur place, nous avons visité le Convento de Santo Domingo, superbe ensemble constitué autour d’un cloître fleuri et garni d’azulejos du dix-septième siècle importés de Séville. Ah, ce bleu… Une chapelle y a été érigée pour rendre hommage à Santa Rosa de Lima, la première sainte d’Amérique. Dans une petite salle peinte en ocre, sur le mur qui fait face à l’entrée, un portrait monumental a été fixé derrière une statue d’elle en gisante, le front caressé par un ange, dans un coffre de verre. Deux bouquets de roses fraîches offrent une part d’éphémère dans cet ensemble dressé pour les siècles. C’est très touchant.
Nos billets pour Cusco en poche, nous sommes rentrés à l’hôtel pour nous préparer à affronter les vingt et une heures de bus du lendemain, assurés par la Compagnie Tepsa. Un petit pisco sour pour les grands, un jus pour les enfants, un ceviche de poisson cru au citron vert pour tout le monde, et au dodo. Nous partons en territoire inca.
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Par pacobalcon le 8 Novembre 2012 à 02:40
Après une tripotée d'heures d'avion, réparties sur deux vols, d'abord Sydney-Santiago, puis Santiago-Lima, nous avons posé le pied au Pérou. Sur le second segment, dans l'avion à moitié vide de la compagnie Lanchile, mon voisin, un vieux moustachu en gabardine ressemblant à Jean Bouise et qui portait deux chapeaux l'un sur l'autre, pasalmodiait des cantiques qu'il lisait depuis une vieille bible installée dans un étui en cuir. Nous étions bien en Amérique latine ! Con mucho gusto.
Nous logeons dans un hostal tout à fait charmant dans la vieille ville. Chambre baroque, hall baroque - parfait. A deux battements d'ailes de condor d'ici, se trouve l'église San Francisco, petite merveille de stuc lourde comme un seau de crème au beurre. Des Christ doloristes en veux-tu, en voilà ! Un retable brillant comme un sou neuf, des plafonds peints comme des voitures volées, un prêtre qui donne tout comme une bête de scène devant une assemblée pour une fois pas clairsemée...
Après le tour du monument, nous sommes allés dîner dans un petit resto à la décoration tout aussi baroque : bouteilles de vin au mur, affiches publicitaires, représentations de Jésus. En plus, on s'est régalés.
Il est 20h38 - la viande est dans le torchon, on éteint les feux.
Cansado, CAFE.
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