-
Par pacobalcon le 28 Juillet 2012 à 17:32
Nous avions ce matin rendez-vous avec Skippy (si si, comme le kangourou !) à huit heures à notre hôtel, le Siem Reap Temple Villa. Comme son nom l'indique, ce jeune homme est chauffeur de tuk tuk. Nous avions demandé à Skippy de pousser le plus loin possible vers le lac Tonlé Sap, mission fort aléatoire en saison des pluies - objectif : la visite des villages lacustres. Avoir notre tuk tuk pour la journée nous permet d'éviter les mini-vans des tour operators et leurs excursions sans surprise, et la traversée des rizières dans ces petits véhicules garde pour nous son charme : sans vitre, sans portières et avec la brise que procure l'allure (très modérée) de ces mobylettes à remorque, la route vers le lac est très agréable. Bon, on n'avait pas tout compris de ce que nous avait dit Skippy sur l'itinéraire (lui nous parlait de prendre une pirogue, que l'on savait très chère, nous lui avons affirmé que l'on se débrouillerait bien sans...). Après une trentaine de kilomètres vers l'Est, en direction de la capitale, nous obliquons plein Sud pour quinze kilomètres de piste brune.
Les buffles, sabots plantés dans l'eau, broutent paisiblement à proximité des nombreuses pagodes bouddhistes tandis que, sur le bord de la route, des jeunes filles installent leur barbecue et une table pour cuire et servir une spécialité locale : le kralaan. Il s'agit d'un segment de bambou farci de riz gluant, de lait de coco, de haricots noirs et de sucre, que l'on bouche avec de la paille avant de le mettre à braiser. C'est très amusant à déguster - ça se pèle comme une banane - et plutôt savoureux. Dès le premier des onze villages de la commune de Kampong Khlean, qui longe le lac, on peut constater que l'habitat s'est rapproché de la chaussée, comme pour s'y accrocher, et les maisons peinent à garder leur assiette : à droite et à gauche de la route, les bas-côtés filent en ravin, et ce sont des pilotis de plus en plus hauts qui s'emploient à maintenir un semblant de rectitude aux bâtisses de feuilles de cocotiers séchées recouvertes d'un fin treillis. Tout le long du village, court un fil auquel des néons supsendus sont raccordés par le biais de trombones de bureau : le fil est à vif. Il sert, la nuit, à alimenter les néons qui éclairent de minuscules bassins où se développent, en une autre saison, les alevins qui finiront dans les fish farms quelques mètres plus bas. Pas de riz, ici. Les habitants de Kompong Khleang, contrairement à 85% des agriculteurs cambodgiens, ne cultivent pas la petite céréale blanche. C'est du poisson que l'on vit au bord du Tonlé Sap, par la pêche ou la pisciculture.
Les pluies récentes, si elles nous ont paru diluviennes à nous, n'ont pas suffi à obstruer le passage des véhicules à travers ce village et les autres, et les pieds des pilotis sont encore visibles, ce n'est que plus bas encore que l'eau se trouve - tant-mieux, on peut continuer plus loin vers le lac ! Chose qui sera impossible dès le mois d'août, et ceci jusqu'en novembre, lorsque seules les embarcations pourront se déplacer par ici. Arrivé aux abords de l'avant-dernier village, Skippy oblique à gauche, emprunte une route montant vers le temple, puis reprend à droite sur quelques mètres avant de s'immobiliser. Au pied des pirogues. Et notre chauffeur d'affirmer que la traversée à pied du village, qui longe le la rivière, un peu plus haut, est interdite et que la gendarmerie, si elle nous surprend, nous verbalisera. L'argument fait à peu près la taille d'une 504 break : en fait, Skippy veut nous amener à emprunter un bateau, ce qui lui permettrait de toucher sa commission au passage. Nous le toisons d'un air conquérants, affirmant que tout se passera bien, et partons pour une promenade dans le village. Le profit que nous, touristes, tirons de l'argument de Skippy - et des autres chauffeurs de tuk tuk - est que ce village, aubaine, est rarement visité par les touristes à pied, justement.
Western soja**: nous pénétrons dans la rue principale, euh... la seule aussi, dans une ambiance à la Sergio Leone. On entend, au loin, le craquement régulier d'une scie à bois. Devant chaque maison, les feuilles de papayers se balancent mollement. Au pied des pilotis, les pirogues sont immobiles. Un bateau à moteur traverse à toute allure le canal sans s'arrêter. Sous un grand chapiteau violet, les préparatifs d'un mariage qui va se tenir là nous informent que les noces ont lieu le samedi aussi, au Cambodge. Personne. Et nous de continuer notre route, cinq à six mètres en contrebas des maisons perchées, entre les filets de pêche, les vélos rouillés et les mues de couleuvres d'eau. On sent bien pourtant, tapis dans l'ombre, des habitants qui nous toisent, circonspects. L'air est épais comme du tapioca. Le soleil est au zénith, de la sueur perle sur nos tempes. Nous nous plaçons en ligne, prêts à bondir. La famille Bruhat, face au danger, se met en formation d'escadrille. Et poursuit sa progression. Même pas peur !
Un peu plus loin, nous percevons ce qui pourrait s'apparenter à du mouvement, dans la guitoune d'une vendeuse de fruits. C'est bien ça : une vielle femme édentée discute à voix basse avec sa voisine. Derrière elles, des hommes jouent aux cartes. On ose un sourire. Banco ! On nous le rend. On pose quelques questions au sujet de ces produits inconnus, elles se bidonnent. On en profitera pour goûter quelques fruits, dont l'un, délicieux et dont le nom nous échappe, partage avec le mangoustan cette caractéristique quasimodesque d'offrir une chair agréable sous des dehors disgracieux. Alors que je sors mon petit couteau suisse, j'entends dans mon dos : "No machete, no machete !". Frayeur. Non, tout va bien. C'est simplement que ce fruit se pèle avec les doigts.
Les deux kilomètres qui nous séparent du bout du village - là où l'eau, effectivement, empêche tout passage à pied - seront pour nous un ravissement. Bonheur inégalé de s'aventurer dans les zones moins touristiques. Ce n'est pas la jungle papoue, mais c'est déjà ça... Amphélise et Célestin sont en alerte, conscients que les regards des habitants, petits et grands, se posent sur eux. Nous aurons le loisir de croiser une femme, descendue sur la rive, faisant auprès d'une batelière l'emplette d'une dizaine de kilogrammes de couleuvres d'eau vivantes, qui finiront dimanche dans les assiettes de Khmers réjouis - ou de touristes émoustillés, dans les hôtels de Siem Reap. Nous verrons bien des femmes et des hommes, abrités du soleil sous les bâtisses, assis les jambes allongées sur le sol, occupés à ravauder des filets plus originaux les uns que les autres : petits cylindres d'organza, gigantesques tunnels de maille serrée, filets en toile d'araignée ou grands disques posés sur la piste poussiéreuse avant de se rafraîchir et se charger de poissons chats... Et des mômes - partout, beacoup. Qui nous sourient et nous saluent. Et nous offrent une poignée de ces instants décisifs chers à Henri Cartier-Bresson.
Et qui est venu nous chercher... devant le local de gendarmerie (où le maréchal des logis roupille dans un hamac) ? Skippy, bien-sûr ! A qui la gendarmerie n'a même pas pensé à dire quoi que ce soit... Mais tout à notre plaisir de la balade, nous lui avons demandé, à nouveau, de nous attendre. A l'extérieur du village.
C'était très bien comme ça.
*Ouaips, bof, bof, je sais...
**On dit bien, également, western spaghetti, non?
2 commentaires -
Par pacobalcon le 26 Juillet 2012 à 10:49
Siem Reap. Il est 15h42 - depuis très exactement cinq minutes, le ciel se vide sur la ville et la pluie, après avoir mis de l'ordre dans les rues plus vite qu'une armée de policiers, et plaqué la poussière au sol, lave les terrasses à grande eau. L'air s'est immédiatement rafraîchi et le petit jardin qui borde notre guest house a pris des allures de jungle urbaine. Derrière les fenêtres du hall où nous nous sommes réfugiés, le vert des plantes est devenu plus brillant, plus intense. Les bananiers se sont raidis tandis que les longues tiges échevelées de la bambouseraie ploient sous les litres d'eau qui prennent leurs aises sur les feuilles tout en longueur de ces mâts de pacotille.
L'averse a, comme d'habitude, été précédée d'un vent violent, vedette américaine de cette tournée de six mois de la mousson en Asie. D'ailleurs, contrairement à l'idée généralement répandue, le terme "mousson" ne désigne ni la pluie, ni à proprement parler la saison des pluies, mais bien les vents qui au quotidien donnent de puissants coups d'épaule aux masses nuageuses depuis le sous-continent indien. Comme toujours, c'est en un tournemain que les habitants du quartier ont placé à l'abri tout ce qui craint l'eau. Sans empressement, mais avec la fiabilité de l'expérience, les corps des commerçants, assommés de chaleur toute la journée, ont pris place à l'abri des auvents des petits magasins d'alimentation, des laveries, des ateliers de fabrication de chips de bananes, des garages de réparation de mobylettes, et les coussins ont quitté les fauteuils pour rejoindre les parasols sous des appentis de fortune. Le rituel des chauffeurs de tuk tuk a commencé, dans la rue : bâches baissées et cigarette allumée, on profite de quelques minutes de répit sur la banquette arrière.
La pluie vient de cesser, la rue reprend vie...
En quelques instants, les nombreuses voiles fluo des ponchos des jeunes filles barrant leur deux-roues Honda cinglent en tous sens sur la fine nappe d'eau que l'averse a déposée dans les rues, comme pour narguer les mâts immobiles des tiges de bambou penchées sur le trottoir.
Pour une lecture en sonorama, cliquer ici
Aujourd'hui, pour nous, c'est farniente - Ô luxe ultime du temps disponible, qui nous autorise toute souplesse dans la programmation des visites des merveilleux temples d'Angkor ! Nous nous sommes levés tard ce matin, après deux journées à les arpenter dès matines. Une fois levé le camp pour une promenade sans objet autre qu'elle-même, nous avons rapidement fini au marché. The Old Market combine authentiques étals de nourriture, de cosmétiques, outillage, etc., avec stands de produits touristiques. En celà, il est sur une partie fréquenté par des Khmers, sur une autre par des touristes. Inutile de dire qu'Amphélise et Célestin étaient tout excités au milieu des pagnes et autres vêtements, bijoux, nappes, bibelots divers - plus que nous, il faut le dire ! Mais Eve s'est prêtée de bonne grâce aux déambulations parmi les échoppes de la partie touristique, au son du "Hello, Sir, good price !" que pour ma part j'ai plus de mal à encaisser.
Je me suis donc réfugié dans la partie alimentaire du marché, et me suis assis, sur une petite chaise en plastique bleu ciel, à l'étal de la pâtissière. Fascinant spectacle que celui de la dextérité de Khon Hyie, jeune femme à la peau foncée et aux hautes pommettes saillantes qui tient son stand avec la précision d'une percussioniste de l'Ensemble Intercontemporain - la disposition de ses instruments en témoigne : devant elle, douze vasques en fer blanc alignées par quatre en trois rangs serrés, rythmés par le placement, aux intersections, des produits d'assaisonnement. Dans les vasques, douze nages différentes : bananes bouillies macérées dans du lait de coco, du sucre et du tapioca ; assortiment de champignons, carottes, pois et citrouille cuits trempé dans une soupe de lait de coco également sucrée ; graines de grenade accompagnées de gelée transucide, etc. Tout est fait maison, je n'ose imaginer l'heure à laquelle Khon Hyie se lève pour préparer toutes ces bonnes choses - ni lui demander d'ailleurs. Elle procède à une vitesse stupéfiante pour servir, répondre, compter, nettoyer, ensacher, rendre la monnaie, débarrasser, comme un Vishnou - la divinité hindoue aux quatre bras* - descendu ici-bas sous un avatar dont la chevelure montée en chignon est piquée de deux grosses fleurs en plastique rose et blanc, et vêtu d'un chemiser violet ajusté à col claudine et manches ballons ainsi que d'un jean recouvert d'un tablier de coton. Car chacune de ces nages est assaisonnée d'une manière bien particulière : les bananes au tapioca sont accompagnées d'épices, l'assortiment de champignons, carottes, pois et citrouille, non, mais elle verse sur ce dernier du sirop de sucre... Alors, elle guide sa main supersonique munie d'une petit sachet de plastique entre les vasques, certaines tièdes, d'autres froides, avec une telle virtuosité qu'on a parfois l'impression que ce sont des images en accéléré qui défilent sous nos yeux. Elle lève bien haut ses petites boîtes de lait concentré - de la marque Bestcows, bien-sûr ! - dont elle verse le contenu par à-coups, tel un Marocain le thé - dans le sachet qui blanchit, puis saupoudre sans en perdre, lâche la louche, s'empare d'une passoire, glisse de la glace, tend au client qui n'a pas le temps d'attendre, après avoir refermé le sachet en serrant bien haut le col, ce qui comprime l'air à l'intérieur, au-dessus de l'entremets, de telle manière que la poche est toute gonflée lorsque, vive comme l'éclair, Khon Hyie enroule autour du col un elastique pour le maintenir fermé. Le tout en discutant avec sa collègue de l'étal voisin, vendeuse de fruits qui est loin d'avoir ce succès.
Si vous avez quelques instants, vous pouvez prendre place comme je l'ai fait sur une des cinq chaises de plastique qui longent son piano : elle vous sert dans de petits bols de plastique blanc et vous fournit une cuiller à soupe chinoise. Nous, ça tombe bien, on l'a le temps. Le temps non pas de traverser le marché, mais de se faire parcourir par lui. On négocie, on harangue, on discute, on sourit, on désire, on râle ici, pour quelques riels ; on est couleur, on est son, on est matière, on est goût, on est parfum. Le tout ensaché dans du temps.
En faisant quelques pas vers l'autre partie du marché, l'estomac bien rebondi, je retrouve mes chers compagnons de voyage. Amphélise a acheté une robe dos-nu bordeaux dans laquelle elle est ravissante. Elle a également fait l'achat de cadeaux pour des amis, mais chut... Eve s'est achetée une jolie étole de coton à rayures crème et noir. Célestin, lui, cherche un T-shirt pour compléter sa nouvelle tenue : sa soeur et lui ont commandé, chez une couturière proche de notre guest house, des costumes sur mesure inspirés des tenues de Razzia (pour lui) et Shimy (pour elle), personnages de la BD Les Légendaires - nous avions dessiné des modèles de ces tenues délirantes, et les explications auprès de la couturière ont donné lieu à une séquence assez croustillante. On verra ce que ça donne demain, lorsqu'on rentrera de notre dernière incursion dans l'enceinte d'Angkor (lever de soleil sur Angkor Vat, et visite des temples Ta Prohm et Preah Khan).
En sortant du marché, nous avons déjeuné de quelques fruits : mangoustans, mangues et litchis, au bord de la rivière, avant de retourner vers notre guest house pour faire quelques brasses dans la picine.
Ensuite - la suite, le début de cet article la contera mieux que moi.
* Ce qui lui garantit bien du chocolat, à ce gourmand
votre commentaire -
Par pacobalcon le 24 Juillet 2012 à 13:37
Sur la carte du Cambodge, dont la superficie s'élève au tiers de l'Hexagone, les réseaux hydrographiques majeurs tracent un Y – le trait supérieur gauche, au nord-ouest, à l'extrêmité boursouflée, correspondant à un affluent du Mekong qui se jette dans le lac Tonlé Sap - le plus grand réservoir du pays - les deux autres traits représentant le segment cambodgien du légendaire fleuve, desendu depuis le Laos, et plus en amont, du plateau himalayen, pour se glisser par mille voies dans l’Océan indien, au Vietnam, au pied de somptueuses falaises karstiques, à environ quatre cents kilomètres au sud-est de Phnom Penh. Toute une « géopoétique » des toponymes !
En quittant la capitale, aujourd’hui, nous traversons le fleuve pour passer sur la rive droite puis remonter les 291 kilomètres qui nous séparent de Siem Reap, la ville où nous logerons pour visiter le site d’Angkor. Sept heures assis à rouler sur un mélange de piste et de bitume – le temps pour nous de contempler les paysages qui défilent, à l’extérieur, mais aussi, à l'intérieur, nos compagnons du jour, citoyens d’une micro-société éphémère montée sur essieux. Le car est, dans bien des pays, l'outil principal dans la boîte à outils du voyageur, en un mot incontournable. Je lui ai toujours préféré le train, qui permet de basculer dans une dimension toute particulière, puisque ce mode autorise deux mouvements, entre deux gares d'une part, à bord d'autre part. Rien de tel dans le bus, mais ce moyen de transport a son caractère. Coincés sur une poignée de centimètres carrés, on est tout à notre loisir de laisser l'oeil se promener à la ronde.
Devant nous, trois Japonais : un couple en compagnie d'un homme, probablement célibataire, qui passera son temps à jouer sur son iPad blanc. Dépassant de son siège, sa tignasse noir de jais accompagne ses gestes sur la tablette. Droite, gauche, droite, gauche, gauche-droite ! Perdu ! Assise à sa gauche, une jeune Khmère aux cheveux colorés auburn lève régulièrement son petit Panasonic, tel un Shiva à l'oeil frontal, pour prendre des photos du macadam. Macadam que notre vieux Volvo, innocente victime de hocquets, avale lentement. Sans doute cette demoiselle tient-elle à marquer chaque kilomètre qui passe, comme une borne photographique, et la rapproche d'un jeune homme impatient qui l'attend déjà dans la gare routière poussiéreuse du Nord. Ou au contraire enregistre-t-elle ainsi, comme un Petit Poucet numérique, l'itinéraire qui la sépare de l'être aimé resté à Phnom - alors qu'elle est en route vers la funeste promesse d'un mariage arrangé.
Un rang en avant, à notre droite, un couple de vieux paysans grignote des cacahuètes. Leur cuir tanné en dit long sur le temps passé dans les rizières à repiquer le riz. Elle porte un chemisier noir traversé d'un lacis rouge sang qui forme des éclairs parfaitement assortis à la saison. La jambe pliée, son pied nu posé sur le siège, elle tient son genou entre ses mains tandis que son regard frappé de strabisme balaie la route sans discontinuer. Son mari porte une chemise rayée dont la petite patte d'accroche, dans le dos, est décalée sur la gauche, mal cousue. Son pantalon de tergal gris anthracite laisse apparaître des pieds brunis chaussés de tongs blanches. De tout le trajet, ils ne toucheront pas aux sandwiches qu'ils ont confectionné et ce pique-nique restera suspendu à la poignée qu'il a devant lui, au-dessus du cendrier définitivement mis hors d'usage par une vis rouillée. No smoking in public places.
Devant eux, une petite famille de trois s'est serrée sur deux sièges, pour éviter de payer les troisième ticket. Une princesse de trois ans à la peau chocolat, à croquer, assise au milieu, se lève régulièrement pour inspecter le vaisseau qui a l'audace de la conduire. Son père, assis à sa gauche, porte une chemise rose clair dont le col ouvert jusqu'au quatrième bouton découvre une poitrine blanche et glabre. Il s'est architecturé un début de banane au sommet et porte des Ray-bun sombres qui laissent deviner un regard conquérant - nous tenons notre Elvis Presley des rizières ! Le déhanchement le plus souple à l'est du Mékong !
Le paysage s'alanguit et dans la vallée à l'est du lac Tonlé Sap, ce sont à présent des rizières à perte de vue. Le niveau d'eau du lac pouvant considérablement s'élever selon la saison, les cocotiers montent la garde sur les diguettes, et pour celà balancent sans relâche leur tête décoiffée de droite et de gauche au sommet de piquets maigrichons. Sur les bords de route, quelques verdoyants villages s'agencent en petits rassemblements paysans plongés dans la torpeur d'une journée sans pluie, entre bananiers, manguiers et cocotiers. Dans cette région comme ailleurs au Kampuchea, les maisons khmères traditionnelles sont sous pression : ces charmantes constructions de lattes de bois sur pilotis - or, dans cette zone exposée aux crues, ils sont ici encore plus hauts que dans le sud du pays et peuvent atteindre trois ou quatre mètres - avec terrasse à l'étage au sommet des escaliers, surmontées d'un, deux ou trois toits selon la taille de la bâtisse, recouverts de tuiles, de zinc ou de chaume, souvent ourlés de corniches en bois peint évoquant des arabesques, subissent les assauts de la modernité cambodgienne. Comme arrachées à la terre, de puissantes demeures en dur, de toutes les couleurs, jaillissent ça et là. Ces bâtisses assises au sol (quels pilotis ?) affichent de grandes surfaces vitrées couvertes d'un film souvent bleu nuit qui rappellent les grandes heures de la pâtisserie anglaise. Elles sont parfois coiffées de tuiles elles aussi recouvertes d'un film, bleu électrique cette fois. Clignement des yeux garanti. Mais la demeure traditionnelle fait front avec détermination, et il n'est pas rare d'en rencontrer de neuves, presque laquées, ou des versions évoluées, en pierre, très réussies.
C'est par le canal de la télévision que la modernité pénètre également dans notre autocar. A l'avant, trône un écran plat dont la programmation est assurée par le contrôleur. Karaoke time ! Personne ne chante, mais le robinet à clips, ouvert en permanence, est organisé en séries. Tout d'abord, des clips mettant en scène des amours dangereuses : dans les rizières, sur la plage, parmi les rochers, bref - loin de la ville et du reste des Cambodgiens, un homme et une femme se sont réfugiés car ils s'aiment contre l'avis de leur famille et de leurs amis. Comment feront-ils ? Deuxième série : en milieu urbain, un jeune homme aime une jeune femme (jusque-là, rien de très différent au niveau du pitch), mais la mafia, ouh qu'elle est brutale !, s'oppose car cette jeune fille, le chef de gang en ferait bien son quatre heures. Des scènes d'une rare violence où pour montrer la cruauté mafieuse, on n'hésite pas à agiter la caméra, à distendre la moue de la jeune fille ou exagérer le regard perdu de l'amoureux transi. Troisième série : une sélection d'émissions TV, type La chance aux chansons au Kampuchea. Sur un plateau, au milieu de danseurs blasés, se succèdent des duos homme-femme qui interprètent des bluettes interchangeables. Il existe également un type d'émissions dans lequel la tradition s'exprime : sur une scène, des hommes grimés haranguent le public, s'asseoient et discutent entre eux en vociférant - voilà un spectacle qui semble combiner le fou shakespearien avec un Guignol khmer, et ces comédies déclenchent l'hilarité de l'assemblée, même parmi les quelques touristes qui n'y comprennent goutte mais sont gagnés par la bonne humeur.
16 heures - on est arrivés. La République du car recrache lentement ses citoyens d'un jour - le voyage est ainsi fait, qui agrège et déasagrège en rythme, sans cesse, et ces quelques heures auront constitué "un pli léger, fuyant, apporté au tissu des jours" (Roland Barthes). Célestin et Amphélise ont été patients - c'est de bon augure. Nous quittons la climatisation pour descendre à Siem Reap sous un soleil de plomb. Tuk-tuk. Hôtel. Bien arrivés.
Angkor*, nous voilà !
* La rédaction s'engage à ne produire aucun jeu de mot à partir du terme Angkor, contrairement à toute la littérature qui s'y consacre.
2 commentaires -
Par pacobalcon le 21 Juillet 2012 à 01:35
Loupé !
Eh oui... Notre première déconvenue dans ce voyage : l'arrivée à Sihanoukville (ville du sud-ouest nommée ainsi en hommage au défunt roi Norodom Sihanouk) est une déception. Nous sommes pourtant arrivés sans encombre à notre hôtel, sous un soleil radieux, après avoir reçu des trombes d'eau sur le toit du mini-van qui nous menait de Kampot au bord de la mer. L'hôtel est d'ailleurs plutôt sympa et bon marché. Mais la plage... Oh, elle a bien dû être belle, la plage, mais ce qu'on en a fait... Elle est parcourue, sur tout le long, d'une fracture de béton armé supposée faire promenade, interminable rature à la base d'une enfilade de structures bâties à la hâte - soit des bars-restaurants, soit des emplacements munis de tables et de chaises qu'on peut louer à la journée - pour abreuver les hordes de touristes qui viennent se dorer la pilule sur l'unique station balnéaire cambodgienne. Hordes au demeurant majoritairement khmères, qui affluent le week-end depuis Phnom Penh pour déployer à leur aise leur statut de "nouvelle classe moyenne". Or, on est vendredi. Il n'est pas inintéressant d'assister à ça, au contraire, mais bon... Didier, le patron par intérim de l'hôtel Susaday, nous informe qu'aux trois célébrations du Nouvel an, la kmère, la chinoise, l'occidentale, c'est un défilé sans fin de touristes en goguette débarqués pour picoler et s'en mettre plein la panse - défilé si chargé que la simple location d'une table et quelques chaises face à la mer coûte 50 dollars la journée, c'est à dire l'équivalent d'un mois de salaire de travailleur pauvre.
Voilà pourquoi, flairant le bon plan, le gouverneur de Sihanoukville, totalement corrompu, a autorisé toutes affaires cessantes ces travaux barbares sur la plage, le remblai et les rues adjacentes. En omettant un détail : sans poser de drain pour évacuer l'eau de pluie vers la mer, on expose le remblai à une surcharge de pression. Fracturer la fracture en quelque sorte, ce qui a eu lieu la veille de notre arrivée : il avait énormément plu les jours précédents, la promenade a été littéralement démembrée et des tronçons de bâti se sont écroulés. On a comblé avec des sacs de sable, toujours à la hâte, pour ne pas perdre une miette de la manne touristique. Dider a précisé qu'il y a dix ans, la majeure partie de Sihanoukville était sauvage, sans route, sans trottoir, sans grands hôtels - c'est devenu difficile à croire tellement le paysage est écorché.
Didier. Un des cent-cinquante ressortissants fraçais de Sihanoukville. Electricien à la retraite venu au Cambodge parce qu'en France "on peut pu rien faire, pas picoler, pas conduire, c'est chiant". Avec sa retraite d'électricien, Dider peut vivre ici dans un luxe qui lui serait inaccessible en France. Accessoirement, il a eu une petite fille, de deux ans aujourd'hui, avec une jeune Khmère... Cela me rappelle la chanson de Gainsbourg :
Jeunes femmes et vieux messieurs, si elles n'on pas d'argent, quelle importance ?
Jeune femmes et vieux messieurs, de l'argent ils en ont pour deux.
Jeunes femmes et vieux messieurs, s'ils n'ont plus d'cheveux, quelle importance ?
Jeunes femmes et vieux messieurs, des cheveux elles en ont pour deux.
Didier revient de France, où il a passé trois mois à "s'emmerder" à faire des papiers, car son objectif est double : garder le statut d'expatrié, pour ne pas payer d'impôts en France, sans perdre la sécurité sociale, et son précieux sésame (de plus en plus précieux avec les années qui passent, pas vrai, Didier ?), la Carte vitale. C'est vrai Didier, en France, on n'a pas le droit de conduire bourré, c'est con, mais la sécu, si j'ai bien compris, tu la gardes...
On voit d'ailleurs un certain nombre de mâles d'un certain âge apparamment seuls, parmi les Français, exhibant leur bedaine à la fois au doux soleil d'Asie et aux sourires des jeunes filles, pas les jeunes filles de la classe moyenne, non, celles dont le salaire mensuel, plutôt, avoisine le prix de la location d'une table et quelques chaises les jours de célébration du Nouvel an. Des jeunes filles ou des jeunes garçons, qui sait ? Kim wilde, ça vous irait comme sujet pour une autre chanson sur la pays ?
De surcroît, sur la plage, les plages (Serendipity Beach, Ocheteal Beach, etc.), on assiste toute la journée au triste ballet de vendeurs de coquillages à la sauvette, de masseuses et d'une armée de malheureux estropiés mendiant quelques riels. Célestin et Amphélise ont du mal à supporter la vue de ces derniers, c'est glauque - on file !
Pour une lecture en sonorama, cliquer ici
Eve, qui a toujours plus d'un tour dans sa valise, suggère de bifurquer à l'est, à sept kilomètres d'ici, en direction d'Otres Beach. Salvatrice proposition ! Nous débarquons sur une plage restée magnifique : une théorie de restos de plage et de bungalows y est disposée de manière complètement anarchique, mais sur des kilomètres de sable fin ourlé de pins aux épines douces comme celles des mélèzes, sans promenade, sans fracture. Un coucher de soleil à se pâmer... On trouve une chambre à bon marché sans difficulté. Après le vilain coup de speed du centre, le son du reggae et l'odeur de la ganja nous installent dans une ambiance bien plus détendue. Welcome to Otres Beach !
Ici, Amphélise et Célestin ont passé l'intégralité de la première journée dans cette eau du Golfe de Thaïlande, amusant mélange de nos côtes à nous : la température de la Méditerrannée et le caractère de l'Atlantique. Ils sautent et surfent sur d'impressionnantes vagues sans sembler se fatiguer. Au-dessus de nous, le ciel évolue à une vitesse étourdissante : poussées depuis l'Océan indien, des masses nuageuses de la taille d'un pays entier défilent en accéléré, se frottant le ventre contre la cime des arbres de deux îles toutes rondes situées à l'est de la baie, et parfois les cumulus sont si bas qu'ils se confondent avec la surface de l'eau. Le vent les chasse pour en installer de nouveaux sous nos yeux, des continents gris qu'on pourrait toucher du doigt et qui disparaissent pour laisser place à d'autres - un immense disque tourne là-haut, à 78 tours par minute. Par moments, la pluie darde la surface de l'eau et sur le champ se forment des piecettes qui font de la toile liquide un tapis de casino, sombre et joyeux - alors tandis que les plagistes retirent en un clin d'oeil les matelas posés sur les transats, d'autres nageurs quittent les lieux, mais pas nous, trop heureux de profiter de la baignade.
Il est 17h13, le soleil commence à décliner, Célestin et Amphélise ont quitté la piscine qu'ils avaient creusée dans le sable pour nous rejoindre, une brise tiède anime le pin qui nous abrite, Steel Pulse se glisse dans nos oreilles, les vagues se brisent désormais gentiment à nos pieds, du khmer, de l'anglais et du flamand nous parviennent par bribes, une brume se forme au loin en direction de la Thaïlande, Amphélise s'est radicalement mowglisée, on ne se rappelle plus très bien quand on est partis, on est bien...
Un peu après 18 heures, alors que le soleil se diluait dans les flots, le vent a mis en panne et le disque au-dessus de nous a soudain cessé de tourner : en un instant les nuages se sont figés au loin, sans doute pour mieux s'oindre des couleurs que décidemment mon Pentax K5 a bien du mal à capter (argh !). La famille Bruhat, ravie, a remonté la plage pour enquiller du barracuda grillé, et elle se disait, cette famille, que... Ben...
votre commentaire -
Par pacobalcon le 20 Juillet 2012 à 01:15
Le deuxième jour aux Manguiers, je me suis décidé à franchir la rivière à la nage. A six heures, l'onde offrait son dos étale à la lumière bleutée du matin. Le silence conférait à mon entreprise un côté primitif qui n'était pas pour me déplaire. C'est sans difficulté que j'ai pu atteindre la rive opposée, au pied de la colline en forme de garrot de buffle, sur une courte plage de vase. En posant le pied sur le sol, je me suis vu Premier homme en orientant ma marche vers le Nord, à travers une jungle de cocotiers salés* qui peuple ce bord de la rivière à perte de vue. Gorgées d'eau, les branches craquaient à peine sur mon passage. Le sable vierge enregistrait mes traces - j'ai profité quelques minutes de cette sensation d'isolement avant de regagner notre rive. Dans mes dernières brasses, parvenu au pied du ponton des Manguiers, j'ai remarqué au fond de l'eau, pris dans la vase, un T-shirt au dos duquel était écrit, dans la police typique des vêtements des universités américaines, "20ème siècle". Avec un grand sourire, je me suis dit que pour ces quelques instants, c'est bien d'autres siècles que l'on aurait pu enfouir ici...
Le surlendemain, c'est avec Célestin, Amphélise et une famille franco-khmer que nous avons renouvelé l'opération. Amphélise, Paliaka et son père, ravissants dans leurs glilets de sauvetage, grimpés à bord d'un petit canot de plastique, nous accompagnaient en assurant la sécurité de Célestin, si besoin. L'eau n'était plus, comme l'avant-veille, étale, mais traversée de courants difficilement lisibles : en effet, la rivière est soumise à la marée, et il nous a semblé que dans la première partie, sur les deux cents premiers mètres, le courant allait vers l'aval, et dans l'autre sens sur la seconde partie. La chose est d'autant plus possible que cette large rivière est traversée, en son milieu, par une longue arrête sablonneuse qui fait que l'on a pied, en plein milieu du gué ! Au final, Amphélise a passé une bonne partie du trajet dans l'eau, et Célestin n'a eu besoin de personne, puisqu'il a vaillamment parcouru l'aller et le retour. Eve, dans son paréo bleu, est restée sur le ponton à profiter de la fraîcheur du matin et à prendre des photos.
La veille, c'est dans une autre robinsonnade que nous nous étions lancés : à bord de deux kayaks, effectuer une boucle dans la mangrove, à l'écart de la rivière, puis redescendre au lodge à la pagaie. Pour cela, un bateau à moteur nous a déposés à l'entrée d'une sorte de chenal : après quelques maladresses, nous avons commencé notre navigation à travers les cocotiers salés. Sur environ deux kilomètres, au nord du village de Kompong Kreng, la mangrove dresse un cadastre naturel qui délimite de nombreux jardins khmers. Nous avons tranquillement parcouru la distance dans la verdure - le lieu est magnifique : parfois, la mangrove prend ses aises et s'élargit, rappelant les Everglades de Floride, parfois elle devient bien plus étroite et à plusieurs occasions nos kayaks sont passés sous des canopées de verdure. Quelques trouées dans le rideau de cocotiers salés permettent d'observer la vie du village. Là, un couple repique le riz, ici, des enfants jouent, ailleurs on sommeille dans un hamac entre les pilotis d'une maison de bois... Une fois sortis des marais, nous avons pagayé jusqu'aux Manguiers, environ deux kilomètres en aval, la tête à nouveau pleine d'images. Eve, qui n'avait quasiment jamais tenu de rames de sa vie, a couvert les quatre kilomètres avec une vigueur qui m'esbaudit encore !
* Le terme, fort peu technique, désigne une plante composée d'une tige claire en forme de bambou qui se prolonge par une gigantesque feuille rappelant la forme des feuilles de cocotiers - et du fait que cette plante pousse le long de la rivière Kampot, qui à proximité du Glofe n'est autre qu'un fjord où se mêlent l'eau douce de la rivière et l'eau salée de la mer, c'est ainsi que Phear, la patronne du lodge les a baptisées, ces plantes. Adopté !
1 commentaire -
Par pacobalcon le 17 Juillet 2012 à 07:03
Avant-hier, nous avons emmené Célestin et Amphélise visiter l'école du village de Kampong Kreng, à environ un kilomètre du lodge en amont de la rivière, en compagnie d'Alice et Nicolas. Alice et Nicolas sont deux étudiants français qui résident aux Manguiers tout l'été et collaborent périodiquement avec Solaid, une association qui vient en aide aux élèves des écoles du coin - en produisant notamment des jeux qui leur permettent d'apprendre l'anglais de manière ludique. Nos deux enfants étaient assez réticents à l'idée de devenir, une poignée de minutes, l'objet de la curiosité des élèves du coin. En plus, c'était le cours d'anglais, alors... grosse pression !
Vers 17 heures, après être remonté jusqu'à l'orée du village par un chemin de terre ocre qui file entre les rizières, nous sommes arrivés à l'école - un bâtiment jaune rythmé par de larges fenêtres grillagées construit au bout d'un sentier, derrière une cour arborée où sont parqués une multitude de vélos et les mobylettes des enseignants. Alice et Nicolas nous guident vers la dernière salle, au bout du bâtiment. Nous entrons... Les filles, installées à droite face au tableau, ont toutes de longs cheveux noirs et de grands yeux rieurs qui scrutent Amphélise alors qu'elle fait ses premiers pas vers elles, à gauche en entrant dans la pièce. Amphélise n'ose pas parler. Les garçons, eux, en proie à une grande timidité, osent à peine regarder Célestin, qui lui ne pipe mot. Découverte totale... Visages qui rougissant se retournent comme plantés sur un axe !
Le professeur, Rin Choeun, un instituteur très accueillant, ainsi que Nicolas et Alice sauront à merveille décrisper l'atmosphère, et quelques minutes plus tard, dans la partie gauche de la salle face au tableau, Célestin, Wat, Rim et les autres sont au taquet, bruyamment plongés dans une partie de dominos inventés par nos deux étudiants français, qui consiste à jouxter les chiffres arabes de nos langues latines avec les chiffres khmers correspondants. Parallèlement, c'est un autre cours anglo-khmer qui a débuté, avec une Amphélise déchaînée qui montre, depuis un petit album, les photos que j'ai prises pendant le cours de Célestin avec Madame Blanc, son professeur de français au collège, ainsi que dans sa salle de classe à elle, chez Joss - photos qui présentent des points communs tout à fait intéressants avec la classe même où nous nous trouvons : tableau noir, jeux d'alphabet fixés aux murs, globe terrestre, etc. Puis d'autres photos, de sa famille, de ses amis, etc. Avec un applomb confondant, elle fait répéter, à la cantonnade, les noms des membres de sa famille. Quelques minutes après, c'est au tour d'Amphélise de répéter, en khmer, les noms des animaux qui figurent sur un jeu de cartes que nous a prêté l'instituteur, pendant que Célestin et ses nouveaux camarades poursuivent leur joyeuse activité. Inutile de vous dire que nous, les parents, avions aussi une banane pas possible en quittant ce lieu ! Rin Choeun, on le rencontrera le lendemain, en nous promenant dans le village, et l'invitation qu'il nous a lancée, Célestin en parle dans sa rubrique.
D'autant plus que notre deuxième moment de grâce du voyage (et là, je ne dis pas second) pointait le bout de son nez. *Nous étions entrés dans le bâtiment alors qu'il faisait encore tout à fait jour, mais du fait que la nuit tombe tôt sous les tropiques, le soleil déclinait lorsque nous sommes sortis de la cour de l'école. Et là, on a eu l'impression que le décor avait été modifié par une équipe surentraînée. A une lumière intensément blanche avait succédé un fond orange, comme une toile de safran tissée à la hâte par mille machines, et, par la mise au repos de la brise vespérale, l'air avait épaissi, mais de manière très agréable, si plaisante même que nous avons tous, naturellement, ralenti notre marche. Entre les touffes de riz, apparaissaient les reflets du rougoiement du ciel, comme si tous les moines bouddhistes de la province avaient déposé à cet endroit leurs ombrelles orange pour la nuit. Au premier-plan, devant nous, les arbustes de bord de route, obscurcis par le contre-jour, formaient une foule de cadres à travers lesquels on pouvait à loisir observer une succession d'images plus belles les unes que les autres.
M'étant attardé encore plus que mes chers compagnons de voyage, j'ai pris en photo, seul sur le chemin du retour, une mystérieuse architecture formée de onze pilotis de platine en suspension verticale au-dessus de la rivière, aimantés par le métal des nuages dans un doux ballet magnétique. Ô que la lumière change la nature du visible ! Je suis retourné au même endroit le lendemain, et en guise d'architecture mystérieuse n'ai pu observer qu'une méchante poignée de pilônes en ciment plantées dans la vase d'un chantier abandonné.
*Mais faisons un détour par le cinéma japonais pour mieux le saisir, cet instant. Il est un réalisateur japonais trop méconnu dont les films, imparfaits mais géniaux, gagneraient à être revus. Ce cinéaste, c'est Keisuke Kinoshita, l'auteur, entre autres, de La Ballade de Narayama (l'original, pas celui d'Imamura qui rafla la Palme d'or à Cannes en 19883) et de La rivière Fuefuki. Ce cinéaste, ex-photographe, avait mis au point un dispositif de plan-séquence totalement original, rappelant le diorama, qui consistait à déplacer, face caméra, les décors sur une plateforme mobile par exemple, en modifiant totalement l'éclairage, pour faire passer les personnages d'une scène à une autre, ou du jour à la nuit. Une sorte de montage pendant le filmage, qui crée au visionnage un choc double : esthétique tout d'abord, car il est magnifique de voir ces plans lents défiler sous nos yeux ; éthique ensuite, car si le spectateur voit bien le "trucage", force est de constater que le réalisateur sait que le spectateur sait - à partir de là opère une connivence cinéaste-spectateur qui démultiplie la richesse du film. Or, c'est une sensation de ce type que nous avons connue en sortant de l'école.
4 commentaires -
Par pacobalcon le 15 Juillet 2012 à 16:34
Hier, notre premier moment de grâce dans ce voyage. Si, si !
Nous sommes arrivés à Kampot, de Kep donc, pas de Phnom hélas, en tuk-tuk. Une petite heure sur une route en bon état, cheveux au vent, un sourire d'une oreille à l'autre sur le visage des enfants. Un tuk-tuk choisi après une négociation âpre mais fructueuse - extrait :
" - Ten dollars.
- Now, come on, eight dollars and that's a deal.
- Ten dollars.
- OK, ten dollars."
Nous avons atteint le lodge nommé Les Manguiers vers 14 heures. Là, dans un vaste jardin veiné de chemins dallés qui borde le fleuve Kampot, moutons et chèvres paissent entre des maisons de type khmer - en bois peint, sur pilotis - disséminées ça et là à proximité des rizières. Nous y avons pris les deux chambres les moins chères, dans la demeure qui jouxte la grande cuisine, et comme la troisième chambre est inoccupée, c'est tout le bâtiment que nous avons rien que pour nous : une salle à manger et deux pièces où se combinent des cloisons en lames de bois cloutées et peintes en jaune avec des parois recouvertes de fines tiges de bambou verni en rangs serrés. Pour accéder aux chambres, on tire deux volets que l'on rabat pour refermer la pièce, en y ajoutant un petit verrou total made in China. Entre les cloisons, on entend les rongeurs gambader, et Eve s'est choppé une souris sur le râble en fermant une fenêtre - ambiance. Bref, c'est rustique.
C'est la partie extérieure des Manguiers qui fait tout le charme du lieu : on y mange des repas délicieux servis sur des plateformes de teck brut disposées à fleur d'eau, on s'y promène entre les manguiers - dont les fruits sont exquis - on y joue au ping pong ou au badminton, on y bouquine recroquevillés dans des hamacs tendus à l'abri du soleil, et surtout, surtout, on y profite du fleuve, auquel on accède par des pontons. Trois cents mètres d'onde calme et brune, à la température idéale, séparent notre bord de la rive opposée, plein ouest, où la nature maîtresse s'étage : en contrebas, au bord de l'eau, une bande de verdure luxuriante dont semblent vouloir s'extraire les têtes mal coiffées de quelques cocotiers plantées sur des troncs dégingadés. Un peu plus haut, le garrot de buffle d'une colline. En arrière-plan, disposée en écharpe autour du garrot du buffle, la ligne de crête d'un relief qui descend vers la mer, plus au sud, le flanc orné du bestiaire que constituent les ombres de nuages esseulés remontant depuis le Golfe. J'étais assis sur le ponton à regarder Célestin et Amphélise se baigner lorsque le soleil s'est glissé dans le dos du massif, après avoir ravalé sa fine langue blanche. J'ai rejoint les enfants et nous nous sommes ébattus jusqu'à la nuit noire.
Un peu plus tard, vers 19 heures, nous avons largué les amarres pour une promenade en bateau. Nous n'attendions pas grand chose - à tort - de cette virée nocturne pour observer des lucioles. Les enfants, l'oeil inquiet, ont vu le lodge s'éloigner alors que nous voguions vers le creux de la nuit sur les eaux parfaitement lisses du Kampot, d'autant plus qu'à intervalles réguliers, des éclairs illuminaient le ciel, annonciateurs d'un orage qui n'a finalement pas éclaté. Au-dessus de nos têtes, le ciel se peuplait d'étoiles à vive allure. Depuis le delta, à quelques encâblures en aval, la brise apportait avec elle un parfum légèrement iodé. Après vingt minutes environ, le batelier a coupé le moteur et, dans l'obscurité, la barque a continué de fendre la surface de l'eau en silence, offrant à nos oreilles gourmandes le festin des mille et un sons de la nuit cambodgienne. En approchant du bord, la main posée sur la lèvre de la coque, nous avons pu observer l'irréel : en écho aux éclairs qui au loin faisaient leur orgueilleux office, des guirlandes de lumière en mouvement donnaient vie aux ajoncs et arbres du bord de l'eau - les lucioles avaient débuté leur office à elles, non moins modeste. Se prenaient-elles vraiment pour des étoiles, à nous faire croire qu'elles pouvaient tirer la voûte céleste jusqu'à la surface de l'eau, criblée de météores taillées dans l'humus, l'écorce et la chlorophylle fraîche ? Et nous, pauvres Gaulois, de s'imaginer que le ciel allait nous tomber sur la tête...
Il est des moments, comme celui-là, où l'on croit que l'on traverse une rivière, mais c'est l'inverse qui se produit : vogue en nous un flot charriant les sons et les images et les odeurs, et nous ne sommes plus qu'une vibration, et s'efface toute connaissance, tout ce qui est mesurable. Des moments où nous sommes disponibles.
1 commentaire -
Par pacobalcon le 15 Juillet 2012 à 04:35
Bribe de conversation que vous auriez pu entendre en randonnant dans les hauteurs de Kep, hier vers midi :
" - Regarde, là, dans le feuillage de cet arbre ; on dirait un macaque... Enfin, tu sais, les singes qui se promènent sur le rocher du Zoo de Vincennes ?
- Ah, des ouistitis !
- Nan, les ouistitis, c'est tout petit ! Ca, c'est des macaques. Ou des babouins, je sais plus.
- Peut-être."
On est vraiment spécialistes de plein de trucs !
Par ailleurs, petite alerte hier pour Célestin, qui a versé son écôt intestinal en vomissant tout son repas - c'est la deuxième fois depuis notre arrivée. On aimerait dire la seconde... Il affirme, aujourd'hui, qu'il se sent bien, et que son ventre ne le fait pas souffrir. Tant mieux.
Pour une lecture en sonorama, cliquer ici
En fait, il s'avère que nous sommes plus ou moins hors-saison : le merveilleux lodge où nous nous trouvons est vide, et fort calme. Reposant. On y pratique un sommeil de qualité, bercés par la musique que la nuit cambodgienne libère dès que le soleil se plonge dans le Golfe de Thaïlande, face à nous. Et les instrumentistes sont nombreux ! Magnifique ostinato du crapaud en rut. Boucles courtes, mais intenses, du gecko... Et nous de basculer dans le rêve, embarqués sur notre vaisseau de teck propulsé par de puissants pilotis.
Ce matin, comme d'habitude depuis que nous sommes entrés au Cambodge, on a affaire à une foultitude de visages souriants - tout se déroule sereinement, sans encombre. Pas de pression.
Nous partons aujourd'hui pour Kampot, de Kep. On aurait préféré atteindre Kampot de Phnom, mais bon.
Si vous n'avez pas eu accès au jeu de mots (très grosse élasticité paronymique) de la dernière phrase ci-dessus, relisez lentement.
5 commentaires -
Par pacobalcon le 13 Juillet 2012 à 02:28
"Mais papa, ça vous fait plaisir de nous faire faire des cauchemars ?" - ça, c'est la question qu'Amphélise m'a posée aux deux-tiers de la visite du S 21, centre de détention et d'interrogation de sinistre mémoire. L'une des 196 prisons que le régime khmer rouge, conduit par Pol Pot, créa à la suite de sa prise de pouvoir en 1975, après avoir vidé la capitale Phnom Penh, intégralement, de sa population (plus de deux millions d'habitants) sous le pretexte fallacieux d'un raid aérien yankee imminent. Une fois désertée, la ville devenait pour le pouvoir totalement disponible pour installer un laboratoire de l'horreur : le S 21. Cependant que la population de la ville était dispersée aux quatre coins du pays pour y être mise aux travaux forcés, comme le reste des Cambodgiens; car le régime khmer rouge tenait à mettre en oeuvre son manifeste idéologique : la seule université, le seul apprentissage qui vaille, ce sont les campagnes, les travaux aux champs, la construction de routes, etc. Le bannissement de l'intellect.
Le S 21, situé à proximité du centre, donne à voir les cellules dans lesquelles avaient lieu les interrogatoires, séances sans fin et sans autre objet, au fond, que le contrôle et la destruction des mentalités, conduits par le terrifiant Duch, vu dans le documentaire de Rithy Panh (Duch, le maître des forges de l'enfer) que nous avions regardé peu avant notre départ, ainsi que des instruments de torture hallucinants. Telle une large baignoire en forme de boîte rectangulaire munie de crochets pour y attacher, par les poignets et les pieds, des prisonniers plongés dans l'eau à intervalles réguliers ; munie également d'un petit robinet à l'extérieur, en bas de la caisse, robinet dont la fonction (vider l'eau, après la torture) associée à sa petitesse, donne des frissons d'effroi : tant de pouvoir en un si petit organe ! Et, comme pour tout système totalitaire animé de la tentation du contrôle total, la visite du S 21 permet d'observer les traces de l'administration de cet hubris : des fiches complètes, pour chaque détenu, et surtout, surtout... des photos - portraits en noir et blanc, de chacun de ces martyrs : hommes, femmes, enfants, vieillards, en chemise, torse-nu, ligotés ou non, mais qui ont tous un point commun, ils sont photographiés de face. Généralement en plan rapproché. Ces photos, aujourd'hui disposées par murs ou panneaux entiers, donnent froid dans le dos. Le régime khmer rouge a pris fin en 1979.
Après environ une heure, donc, nous avons préféré mettre fin à la visite pour Célestin et Amphélise, qui commençaient à craquer. Amphélise - qui a exactement l'âge que j'avais lorsque mes parents m'ont emmené visiter Auschwitz - a éclaté en sanglots, et c'est par le dialogue que nous avons conclu notre visite. Non, Amphélise, ça ne nous fait pas plaisir de te faire faire des cauchemars. A l'inverse ! Mais comme le sommeil de la raison engendre des monstres... Justement, Amphélise, le bâtiment dans lequel le S 21 fut créé, c'était auparavant... un lycée. Et c'est l'absence totale de hasard dans ce choix qui nous conforte dans l'idée que cette visite ne fut pas inutile.
Pour une lecture en sonorama, cliquer ici
De la même manière que soleil et pluie constituent pour nous deux visages de l'ailleurs, il nous faut ajouter qu'après la visite des forges de l'enfer d'hier, c'est le paradis que nous avons atteint aujourd'hui. Direction Kep, au sud-ouest de Phnom Penh, face au Golfe de Thaïlande. Après une poignée d'heures de bus (audio), une nuit sur pilotis, au sommet d'une colline boisée dominant la côte. Oh, la plage, ça n'est pas Koh Tao, mais la vue depuis la chambre : fabuleuse.
Il est 18h42, le soleil décline doucement, Célestin rédige sur son carnet moleskine, Amphélise sur son cahier cambodgien, et Eve regarde la mer. Longtemps.
Vous auriez vu son sourire en entrant dans la cabane perchée sur les hauteurs... Celui-là, je me le garde.
4 commentaires -
Par pacobalcon le 11 Juillet 2012 à 13:01
Pour une lecture en sonorama, cliquer ici - la terrasse de l'hôtel, vers 17 heures aujourd'hui :
sounds from the terrace
Etrange nuit que la nuit dernière, notre première en Asie. Lovés sous les moustiquaires tendues au-dessus de nos lits en teck et couverts d'un léger drap de coton, nous avons quitté le monde de l'éveil vers 21 heures, fourbus - avant d'y reprendre pied, fermement, bien trop fermement, deux ou trois heures plus tard. Vers minuit, la voix flûtée d'Amphélise s'est fait entendre, puis celle d'Eve, et enfin celle de Célestin : tous réveillés ! Ce n'est que bien plus tard, lorsque le jour s'est levé et que le ventre de la rue a commencé à libérer ses premiers gargouillements, que nous avons enfin, comme de conserve, pu retomber dans les bras de Morphée, pauvres pièces jetées sur un damier sculpté dans du temps !
Le climat aussi a fait son capricieux : il faisait une chaleur écrasante lorsque nous nous sommes aventurés au dehors, soleil de plomb et rues sans mouvement. Puis à quinze heures, comment dire ? pile (euh... on avait dit 18 heures, non ?), le ciel s'est damassé de noir tandis que dans les rues, les arbres s'animaient sous la pression de plus en plus soutenue du vent. Et comme hier, tous de se revêtir, en un clin d'oeil, d'une cape de pluie. Tous ? Non... un observateur aurait pris grand plaisir à voir quatre pathétiques Gaulois, à quelques encâblures du boulevard Norodom, s'agitant frénétiquement pour sortir d'un sac à dos bien mal rangé quatre imperméables avant de les enfiler sur des T-shirts déjà mouillés. Too late, too late eût sans doute dit la reine Elizabeth I. Enfin, on est là pour apprendre.
Bref, c'est ruisselants que nous avons pénétré dans le magnifique Musée National, qui regroupe une collection splendide d'art khmer. On peut y voir des pièces somptueuses tirées des temples cambodgiens tels qu'Angkor Vat. Un musée de premier ordre qui témoigne, si j'ai bien compris notre guide, des différentes étapes de la construction religieuse khmer : hindouisme, hindouisme-boudhisme, boudhisme. Processus d'acculturation tout à fait passionnant, et dont nous sommes devenus, bien-entendu, des spécialistes. Au point, si si ! de pouvoir affimer que le mot avatar est originaire du sanskrit (langue autrefois parlée en Inde) et désigne en premier lieu les différentes formes que pouvait prendre un dieu dans le panthéon hindou : une incarnation caressante pour dire la beauté du monde, une autre, terrifiante, pour terrasser les démons - pour une seule et même divinité. Au même titre que pluie et soleil sont les avatars, les visages d'un ailleurs que nous avons le loisir, et la chance, de goûter, mes chers compagnons de voyage et moi.
Il est 19 heures, nous allons dîner. Il pleut des cordes - et ce coup ci, les imperméables, on les enfile avant de sortir. Acculturation, on vous dit !
PS : le jeu de mots du titre... Désolé, pas pu me retenir.
3 commentaires -
Par pacobalcon le 10 Juillet 2012 à 10:16
Il est 14h46, heure locale... heure de Phnom Penh - je me pince pour y croire. Nous sommes tous les quatre allongés sur deux solides lits doubles en teck vernis, dans une chambre aux plafonds hauts dont les murs alternent teintes vert amande et bleu pâle. Eve, Célestin et Amphélise dorment : la nuit a été longue, et nous n'avons pas fermé l'oeil. L'aéroport Charles de Gaule est loin déjà, celui de Hong Kong aussi, en dépit de la course effrénée qu'il nous a fallu effectuer pour la correspondance : sur quelques minutes haletantes, la sensation que l'invisible baguette géante d'un facétieux architecte allongeait un peu plus, à chaque pas, le rendant interminable, le boyau nous reliant à la porte d'embarquement numéro 510. Si un jour vous êtes amenés à vous rendre porte 510, dans l'aéroport de Hong Kong, fragile tarmac en équilibre sur l'océan et coincé entre d'inquiétantes collines noires, méfiez-vous... Vous pourriez bien basculer dans une dimension imprévue.
Nous sommes arrivés depuis l'aéroport en tuk-tuk - triporteurs ajourés que l'on retrouve un peu partout en Asie et qui ont le double avantage de se faufiler dans les embouteillages tout en rafraîchissant leurs passagers - accompagnés d'une noria de petites motos et autres mobylettes. Il fait chaud, il fait lourd à Phnom Penh. Amphélise s'est endormie sur la banquette arrière, en dépit du bruit et du vent, et m'est avis que Célestin l'aurait volontiers rejointe...
Il est 15h05. C'est un moment délicieux. Mes chers compagnons de voyage dorment toujours. La climatisation ronronne gentiment au-dessus de nos têtes - nous nous trouvons dans une guest house au nom prédestiné : Alibi. A l'extérieur de la chambre, franchir quelques pas sur les dalles roses permet d'accéder à une terrasse surplombant une jolie petite cour arborée (un manguier, un bananier, des arbres aux fruits inconnus) disposée autour d'une fontaine en carré dont le jet filiforme rythme l'après-midi : c'est là que demain matin nous prendrons notre petit-déjeuner. Ou pas.
Il est 15h14. Eve ouvre un oeil. C'est une journée parfaite.
A 18 heures pile, alors que nous nous promenions au bord du Mekong, il s'est mis à pleuvoir d'une force... Mais il en eût fallu plus pour désarçonner une population rompue aux lois de la mousson : en un tournemain, les corps ont été enveloppés dans des ponchos de plastique multicolores, les bâches des tuk-tuk ont été baissées et les chauffeurs se sont mis à fumer sur les banquettes arrières, la mine réjouie, attendant tranquillement la fin de l'intempérie. Et la vie a repris sont cours à 19 heures. Pile.
Welcome to Cambodia.
4 commentaires
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique