•  Il est 21h38 – allongé sur la couchette supérieure à l’entrée de la voiture 14 de l’express Bangkok - Sungai Kolok, je fais le point sur nos dernières heures en Thaïlande. Fixé au plafond, un ventilateur rotatif couvert de poussière poisseuse agite régulièrement les rideaux verts - siglés du numéro correspondant au siège avec une broderie de fil doré - derrière lesquels les passagers, un par un, s’endorment. Lorsque l’on se place debout au centre du couloir, on peut observer le mouvement des voilages sur des dizaines de mètres, de chaque côté. Débarrassé de toute forme humaine visible, le train semble n’être qu’un boyau éclairé au néon au sommet duquel ont été fixées de longues tringles supportant des voilages en liberté. Une tache de couleur rose, en amont, indique que pour la première classe, quelque chose de plus fleuri a été choisi.

    Le train est ouvert aux quatre vents – ni une fenêtre, ni une porte n’ont été fermées depuis 13 heures, heure du départ de Hualampong Station, à l’extrémité Est de Chinatown. Ne pas gêner la fermeture des portes pourrait ici être mal pris. C’est l’ouverture des portes qu’il ne faut pas gêner. Chacun s’asseoit à sa guise sur les marchepieds d’accès aux voitures, pour fumer, ou pour chercher un peu d’air, comme les poissons remontent à la surface pour de l'oxygène. Il faisait environ deux milliards de degrés lorsque les machines se sont mises en branle pour donner un coup de rein à l'ensemble. Il fait un peu moins chaud maintenant. A chaque instant, les bogies sont mises à rude épreuve par les antiques rails de la voie, et en plus du ta da ta toum de rigueur, c’est toute une gamme de bruits annexes qui se font entendre, crissements, claquements, vrombissements, bruits de chocs et de frottements que la langue anglaise serait mieux à même de rendre – tous les gargouillements d’un tube digestif de métal qui avoue son âge, sans minauder, un peu plus à chaque kilomètre avalé. Trois heures et demie après avoir quitté Bangkok, nous avons atteint Ratchaburi, à environ cent kilomètres de notre point de départ. Il faut dire que le train, comme c’est souvent le cas en Asie, est à la fois longue distance et omnibus. Il suffit d’imaginer un Paris-Hendaye qui s’arrêterait à Meudon, Chaville, Viroflay, … Parce que nous descendons jusqu’à la frontière malaise, environ mille kilomètres plus bas. Si la Thaïlande a la forme d'un neuf, vu dans un miroir, nous sommes sortis de la bulle pour rejoindre la pointe.

    Nous  avons quitté Bangkok presque à regret : la ville est fascinante. Comme elle fait quinze fois la taille de notre capitale de France, elle est chronophage. Et la poignée de jours que nous lui avons consacrée nous ont simplement donné l’envie d’y goûter davantage. Hier, c’est dans le quartier de Silom que nous avons bourlingué, après avoir de nouveau emprunté le ferry qui navigue à toute allure sur la Chao Phraya. Nous revenions du Dusit Zoo, que fréquentent annuellement plusieurs millions de visiteurs, parmi les familles thaï, les groupes scolaires en uniformes, et les jeunes couples ravis de s’offrir une touche de romantisme pour 10 bahts. C’est naturellement le vivarium qui constitue le joyau de ce zoo, puisque la nombreuse faune qu’il abrite est endémique – ce qui ne nous a qu’à moitié rassurés.

    A Silom, donc, en fin d’après-midi, nous avions décidé de vivre quelques instants au-dessus de nos moyens. Nous débarquons du ferry, vers 18 heures, à Oriental Hotel Pier, dans un quartier cossu de la capitale : grands hôtels, grooms, Mercos noires et tout le toutim. On a jeté notre dévolu sur le Sirocco Sky Bar, au sommet de la tour Lebua. Déjà, la tour. On la remarque, depuis la rivière, comme si elle était au milieu d’un champ – alors qu’elle est entourée d’autres gratte-ciels ! Madame est flamboyante : une gigantesque structure blanc crème qui s’élève en un triangle rectangle rythmé par de vastes plateaux, tous les vingt étages environ, coiffée d’un dôme doré de la taille du celui du Reichstag. C’est là, au pied de la coupole, sur une esplanade en goutte d’eau à laquelle mène un escalier monumental, que se trouve le Sirocco Sky Bar. Au soixante-quatrième étage. Sans vis-à-vis. Vue panoramique sur océan de béton, loin, très loin en contrebas.

    Mais pour monter il faut passer le cerbère : une jeune femme en tailleur qui fait office de physionomiste. Avec un sourire de faussaire, elle vous toise en un rien de temps pour juger si vous entrez dans le périmètre du dress-code affiché à côté d’elle. On tente la connivence, genre Delon dans Mélodie en sous-sol qui adresse à la rombière qui fait des manières pour lui demander du feu : « Te fatigue pas Totoche, on est du même milieu ». Ranafout : Célestin, Amphélise et Eve, ça passe, mais moi, je ne conviens pas – pour l’instant. Car on avait prévu le coup. Je file donc me changer dans les toilettes et substitue à la tenue short-tongs un seyant pantalon de randonnée rouge à damier (mon pantalon, quoi !) "assorti" à des chaussures de marche marron  foncé (mes chaussures, quoi !). Le tout surmonté d’une chemise bleu ciel à rayures blanches froissée. Ridicule, mais dans le périmètre du dress-code. Totoche me toise à nouveau, attend deux secondes en silence puis sans rien ajouter tend le doigt vers l’ascenseur. On nous accorde le précieux sésame !

    Cette humiliant protocole sera vite lavé – la descente sur l’esplanade depuis le dôme, au soixante-quatrième étage, est phénoménale. On a l'impression d'être en équilibre dans l'azur, c'est très agréable. A chaque pas, un groom vous indique le chemin avec un grand sourire. Les femmes sont grandes, les cheveux longs, et elles portent un tailleur café-crème. Les hommes ont les cheveux courts et portent un uniforme noir à col mao. On descend l’escalier pour atteindre le bar au comptoir circulaire autour duquel se déplace la faune endémique des grands hôtels, souple et habituée, robe noire de soirée pour les unes, chemise anglaise pour les autres. Toute la rotonde est colonisée par la jet-set society réunie, au coucher du soleil, autour de l’abreuvoir à Mai Tai. Toute ? Non ! Un spectateur caché sous la coupole se serait plu à observer le déplacement malaisé de quatre Gaulois en braies de couleurs vives. Non, en vérité Amphélise porte, elle, une jolie robe qui fait honneur au charme français. L’honneur est sauf. Pas loin de deux heures durant, nous allons profiter du spectacle du sunset sur la capitale thaïlandaise. La température est douce, les nuages confèrent au ciel un certain caractère, et alors que le soleil décline, des myriades d’ampoules s’allument progressivement. Tandis que la Chao Phraya, noircie, n’est plus empruntée que par de rares bateaux, le grand S de la motorway, plus à l’Est, charrie un flot ininterrompu de lumière bicolore, blanche sur la partie droite, rouge sur la partie gauche – on roule à gauche, ici - comme les dentifrices de notre enfance. Occupés à siroter des cocktails, avec ou sans alcool, dont le prix pourrait couvrir les frais d’instruction d’un famille sur un an, nous regardons une autre ville émerger à vive allure, taillée dans la lumière électrique. Nous nous trouvons à l’endroit précis où a été tournée la scène de l’échange des codes dans Hangover 2 (Very bad trip 2). Espérons que l’on ne va rien oublier…

    Quelques heures plus tard, la navette de notre hôtel, le BUPlace, nous menait au métro, pour rejoindre la gare. En chemin, un attroupement s’était formé sur la ruelle empruntée par notre mini-van : une grue accolée à un bâtiment en construction venait de se fracturer, net, en deux endroits, emportant avec elle le filet de protection installé sur la paroi du chantier. A Bangkok, on est plus regardant sur la vitesse de construction que sur la sécurité des ouvriers, récupérés par grappes depuis les faubourgs de la ville chaque matin pour fabriquer à la va-vite de l’hôtel ou du mall. Enfin, apparemment, plus de peur que de mal, c’est déjà ça.

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    Comme notre train file plein Sud vers la Malaisie voisine, cet après-midi le soleil ne nous a pas quittés d’une semelle, Eve et moi, puisque nous sommes dans la partie droite dans le sens de la marche. A la chaleur suffocante des premières heures du voyage – fesses collées au fauteuil, larges auréoles sous les bras, dos trempé de sueur – s’est substituée une douceur vespérale qui nous a permis de retrouver un filet d’air. Ô comme le voyage peut à sa guise jouer sur le temps ! Alors que le train ne modifiait pas son allure d’un iota, le soleil qui s’approchait de la ligne d’horizon a semblé dilater le temps : Amphélise et Célestin s’étaient mis en tête de gratter quelques bahts et pour cela se proposaient de vendre massages de pieds, dessins, poèmes ou porte-monnaie en papier et comme le vivier de clients francophones était réduits – deux, en fait, nous – Eve et moi étions très sollicités. Happés par le spectacle de l’Ouest vu du train, nous avons acquiescé pour à peu près tout et nous sommes endettés pour les années à venir. Tout à leurs travaux manuels, les enfants gambadaient dans le wagon. Eve regardait au loin, à l’écoute d’Amy Winehouse, et son sourire disait bien qu’elle était exactement là où elle voulait être.

    Par la portière ouverte, je me suis assis sur la plateforme de la voiture 13, vers l'extérieur, entre les deux parois de métal du boyau d’accès au wagon, les tongs posées sur le marchepied et les mains fermement arrimées aux barres de sécurité. L’air me fouettait le visage, et le paysage s’étalait sous mes yeux en strates de couleurs différentes, de plus en plus fixe en fonction de l’éloignement par rapport au train. A mes pieds, le ballast formait, tissée par la vitesse, une série de fines lignes grises jamais tout à fait droites. Juste derrière, une file de rice paddies parallèle au train reflétait des lanières de soleil brusquement coupées par des chemins de terre. Au-delà, d’autres rice paddies tout en longueur, perpendiculaires aux voies cette fois, reflétaient la ligne de crête qui forme une longue frontière naturelle avec le Myanmar, sur un axe nord-sud, comme la Cordillère des Andes sépare le Chili de l’Argentine. De même qu’à Thong Pha Phum, c’est drapée de bleu gitane que la Birmanie se présentait à nous. Mais ici, elle était recouverte de longs cumulus orangés qui formaient un vivarium de coton réunissant toutes sortes de reptiles, avec ou sans pattes.

    Lorsque l’on parvient à Prachuap Khirikhan, la ligne de crête se rapproche du Golfe de Siam, le Myanmar également donc, et c’est par un goulet d’étranglement que se faufile la Thaïlande pour se déployer jusqu’au Sud, à Phuket, à Krabi, et au-delà, jusqu’à la Malaisie. Le soleil s’est couché à cet endroit, à cet instant, lorsqu’il ne reste plus qu'une poignée de kilomètres pour passer, lorsque les montagnes roulent vers les voies à tel point qu’on voudrait avoir emporté une queue de billard pour les chatouiller.

    C’est à ce moment que le chef de voiture a commencé à préparer les lits-couchettes. Good night. Que suenen con los angelitos, amores mios.


    Dimanche, 9 heures. Il venait de faire jour lorsque je me suis rendu au wagon-restaurant pour un café au lait. J’y ai croisé les deux vendeuses ambulantes de la compagnie, occupées à replier des nattes de plastique multicolores, sur lesquelles elles avaient passé la nuit sous des tables. Elles sont toutes deux petites et sèches, et ne doivent pas dépasser quarante kilos, mais elles vous déplacent des plateaux chargés de fried rice and chicken jusqu’au plafond, avec robustesse et sans dévier d’un poil. La plus âgée des deux, à la peau tannée, porte un T-shirt bleu turquoise floqué, en lettres capitales, des mots DANGEROUS EXPEDITION. Aïe… Alors que nous approchons de la frontière, les seuls voyageurs à bord à part nous sont des Malais. A la différence des Thaïs, ce sont des musulmans – les femmes portent des foulards et certains hommes la barbe. Le sud de la Thaïlande est actuellement en proie à de sévères convulsions, dans la région de Pattani, où un mouvement séparatiste se signale par la pose régulière de bombes. Un couvre-feu y a d’ailleurs été décrété la semaine passée par le gouvernement régional. Encore quelques minutes et notre train entrera en gare de Sungai Kolok, ville-frontière. De là, nous passerons à Khota Baru, en Malaisie. Après, on improvisera. Bye-bye Thailand.


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  • C'est notre troisième journée dans la capitale, depuis notre retour de la région de Kanchanaburi. Après notre fabuleuse escapade au Ganesha Park, nous avions décidé de rester un peu sur Thong Pha Phum, dans l'Ouest, pour profiter de la sérénité du lieu : promenades autour du lac, lecture et travail avec les enfants. Une pluie fine s'est mise à tomber, sans cesser pendant deux jours, tapotant les feuilles de bananier devant notre bungalow, qui ont fini lustrées comme les escarpins de la reine Sirikit : un temps propice pour de telles activités. La grande salle recouverte de teck du restaurant sur pilotis, avec vue sur le lac, que nous étions les seuls à occuper, nous a de surcroît permis de prendre nos aises pour ce faire.

    Arrivés à Bangkok, nous avons quitté la zone touristique de Khao San, où nous étions logés à notre arrivée en Thaïlande, pour nous installer plus au nord de la ville, quelque peu à l'écart du centre, dans un grand hôtel qui fait une promotion fantastique : pour le prix d'un boui-boui, on a pris nos quartiers dans un vaste studio climatisé, au-dessus d'une piscine extérieure - et il y a une table de ping-pong ainsi qu'un billard, pour le plus grand bonheur de Célestin. A condition d'y passer trois nuits, ce que de toute manière nous avions prévu. Nous rayonnons donc à partir de Rama IX area, zone où se côtoient classe populaire et classe moyenne et où les touristes sont complètement absents - ce qui explique le prix de notre logement.

    Au programme hier, deux temples. Le premier, situé à proximité de la rivière Chao Phraya, juste en dessous du Palais royal, s'appelle le Wat Pho. Dans un jardin dallé, les pagodes blanches aux toits mutlicolores offrent aux visiteurs une promenade agréable. On déambule entre les banyans (arbre devant lequel Le Bouddha s'est éveillé), les bonzaïs taillés installés dans des pots blancs, et les stupas. La plus grande pagode de cet ensemble abrite un monument de premier ordre : un Bouddha couché, doré, de quarante-six mètres de long. La tête en équilibre au creux de sa main posée sur des cubes ornés de motifs floraux, il regarde au loin, arborant un large sourire. Son corps se déploie sur une toile dont le doré du drapé est mat alors que celui du Bouddha est brillant, ce qui met en valeur ce dernier. Ici comme à Angkor Thom, un des grands ensembles que nous avons vus au Cambodge, on avance sous le regard bienveillant du Bouddh, qui semble nous accompagner - quelle différence par rapport à la représentation doloriste du Christ accrochée dans les églises et cathédrales !

    Par ailleurs, à l'instar de la Mona Lisa - oeuvre dont on pourrait, subjugués par le sourire du sujet et pressés par la foule du Louvre, oublier le paysage, pourtant d'une mystérieuse beauté - ce sont les panneaux de bois du temple qu'on serait amenés à louper en se focalisant uniquement sur la statue d'or au large sourire. Ces fresques, comme dans de nombreuses pagodes, illustrent les différentes étapes de l'Eveil du Bouddha (méditation, contemplation, réflexion, enseignement...) - mais leur exécution raffinée, combinée à des guirlandes de motifs végétaux finement ouvragées, offre à la statue un écrin de toute beauté, comme un reliquaire géant qui contiendrait du vivant.

    Quarante mètres plus loin, sur la plante des pieds de l'Eveillé, sont taillés dans la nacre (mother-of-pearl, en anglais) des représentations des cent-huit états du Bouddha. Parvenu au bout du hall, donc, le visiteur fait demi-tour pour remonter le long du dos de la statue. Juste après cette volte-face, ce sont par conséquent les talons que l'on peut observer, et là, surprise ! Ils ressemblent à s'y méprendre à des talons de playmobil, comme arrondis par jeu, grossis cent fois et recouverts de peinture dorée !

    Parallèlement à la colonne vertébrale du Bouddha, cent-huit coupes de métal noir sont fixées contre la paroi du bâtiment, posées sur une enfilade de structures en aluminium. Pour une donation de vingt bahts, on vous distribue une coupelle de fer blanc dans laquelle ont été placés cent-huit minuscules jetons. Et chacun de verser, un par un, les jetons dans les coupes, qui tintent et résonnent dans l'enceinte : le circuit autour de l'Eveillé se fait donc dans un concert de piecettes lancées sur un rythme aléatoire qui transforme cette donation en un joyeux carillon. Et de nouveau, les sens sont sollicités : l'oeil embrasse la longiligne statue, dans le nez s'infiltre le parfum de l'encens qui brûle planté en bouquets sur de petits autels, dans l'oreille se glisse la symphonie percussive du métal qui arrose le métal, et nos doigts caressent un panneau de bois l'espace d'un instant.

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    Un tuk tuk nous déposera, dans l'après-midi, au pied d'un temple d'une toute autre nature. Car c'est aujourd'hui que nous fêtons le non-anniversaire de notre Amphélise. En effet, avant le départ, chacun des CAFE a fixé une date pour cet événement important. Voici donc le premier d'une série de quatre. Nous nous rendons au Central Plaza, temple... de la consommation. Nous avions repéré ce lieu, à la sortie du métro Phra Rama 9, lorsque nous recherchions un hôtel, un jour où les enfants étaient restés au New Siam pour bouquiner. Le Central Plaza est un lieu fréquenté par des jeunes, des écoliers, des familles, des couples de la classe moyenne et de la gentry thaïe. Un mall de centre-ville aux proportions asiatiques, paquebot blanc prévu pour accueillir des milliers de clients chaque jour, de la lycéenne girly en jupette bleue ou verte et chemisier blanc au total geek à sneakers oranges, baggies et T-shirt Japan Rags. Ils sont venus pour consommer à pleines dents, ou, pour les moins fortunés, s'en mettre plein les mirettes. On se rassemble entre jeunes autour d'un plateau de frites chez Mc Donald's, au Fun Planet pour des jeux d'arcade dernier cri, ou dans les petits cubicles d'une ruche de bois clair aux portes vitrées nommée Sound Check, karaoke où l'on se rend pour chanter à pleins poumons sur les derniers tubes.

    Bah... Pour le non-anniversaire de notre gazelle, on n'a pas fait autrement : fast food, jeux vidéos, glaces, lèche-vitrine. Les enfants étaient aux anges ! Après leur séjour à l'hôpital, pas mal d'heures de car ou de mini-van, des mets étranges dans des cantines pas toujours très propres, des journées à marcher, des sites, des temples - un peu de superficialité, combinée à du connu, ça leur plaisait.

    Pour tout ces visites, il faut l'arpenter, la capitale. Aller à droite, à gauche, dans Bangkok, c'est se frotter à la ville, se perdre, perdre pied, reprendre pied, reprendre son souffle, filer, piétiner, chercher... Bangkok est un corps vivant, que nous, microbes, traversons au rythme que nous impose le trafic. Pour ses problèmes de circulation, la ville se gave de pilules, de couleur rose fuschia, bleu et jaune-vert, les couleurs des taxi-meter qui, si vous avez le temps, vous font parcourir une distance considérable pour la somme de 50 bahts ; elle se gave aussi de grappes d'ouvriers qu'elle balance sur les plateformes arrières des pick-up, le matin, pour les envoyer sur des chantiers où le béton coule plus sûrement qu'une tourista - et alors que le Bouddha est en suspension dans sa pagode du Wat Pho, au calme,  la ville s'enfonce dans le Chao Phraya, charriant avec elle, dans un orage d'acier, sa noria d'automobiles, de motos et de tuk tuk qu'elle emprisonne dans l'écheveau noir de ses fils électriques. Gardée par des échoppes d'apothicaires qui vous jettent au visage leur inquiétante pharmacopée, où la vipère copule avec l'hippocampe, Chinatown ploie sous la charge de marchandises dont on a bourré ses boutiques, qui vomissent des océans de plastique jusque dans les égoûts. On y grille des oreilles de porc aux coins des rues, mais l'odeur du pétrole colle comme un cancer, le pétrole du plastique, le pétrole de l'essence. La vie brûle par tous les bouts de la ville sans fin. Certaines villes valent le détour, Bangkok exige le contour. Agité par les eaux boueuses du fleuve, le corps de la ville a faim. Il veut consommer des consommateurs, qui montent en nombre au sommet du Central Plaza pour se jeter à ses pieds et s'offrir à lui, aplatis comme des galettes, qu'il avale telles des pastilles à sucer. Aplatis, mais souriants.

    Aujourd'hui, nous sommes retournés un énième fois au Mission  Hospital, où les nurses commencent à nous connaître, pour être mis au courant de résultats de tests qu'Amphélise et Célestin avaient passé la semaine dernière. Le Docteur Sujane, patiente et adorable, nous a de nouveau reçus pour nous annoncer officiellement que les tests étaient probants. Auparavant, nous avions dû attendre une poignée de minutes dans le couloir car Madame Sujane, qui est chef de clinique, était occupée à diriger un choeur composé de tous les corps de métier de l'établissement, dans le hall de l'hôpital : face au portrait en pied de la reine Sirikit, devant lequel brûle de l'encens, cinquante voix malhabiles entonnent des hymnes à Sa Majesté, dont l'anniversaire approche - c'est dans trois jours, et c'est une fête nationale. Ici, de même que l'anniversaire du roi donne lieu à la fête des pères, en décembre, l'anniversaire de Sirikit est l'astre autour duquel on a placé la fête des mères en orbite. Laquelle, donc, a lieu aujourd'hui : des infirmières distribuent aux mamans présentes des broches de jasmin frais et prennent les enfants dans leurs bras, cependant qu'une autre chorale, à l'effectif réduit cette fois, accompagnée d'un guitariste qui pourrait être le cousin oriental de Patrick Bouchitey dans La vie est un long fleuve tranquille, chante, de service en service, des hommages aux mamans. Débarrassée des solennités du hall d'entrée, sans micro, la petite troupe avance joyeusement et se permet même quelques petits numéros vocaux. Munis de nos résultats rassurants et charmés par cette chorale, nous laissons éclater notre joie. Happy time.

    Demain, une dernière journée à sillonner la capitale avant notre départ pour la Malaisie, depuis la gare de Hualampong. Bangkok last.


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  • Voilà un special day qui a tenu toutes ses promesses et bien plus encore ! François Collier, le propriétaire du Ganesha park, a bien fait les choses. Il faut dire qu’il maîtrise son affaire : habitant en Thaïlande depuis des lustres, marié à une Philippine et père de quatre enfants qui parlent français et thaï, il a une passion pour les éléphants et connaît le coin comme sa poche. Ils ont tout plaqué en France en 2003 pour venir s’installer ici avec une idée en tête : bosser avec des éléphants – ce qui en plus tenait à l’époque du rêve de gosse bien davantage que du projet d’entreprise, car ils n’y connaissaient rien à ces bêtes. Ce n’est donc pas un hasard si aujourd’hui, contrairement à ce qui se pratique un peu partout dans le pays, il ne nous propose pas une courte promenade à dos d’éléphant, mais une immersion dans le monde de l’animal.

    On est partis hier matin vers 8h30 pour rejoindre les mahouts qui nous avaient quittés un peu plus tôt pour chercher Tongkham et ses trois copines qui broutaient plus haut dans la montagne, comme chaque nuit, au milieu des bambous. En fait, elles paissent toujours dans un endroit différent, car en quelques heures, ces demoiselles vous font disparaître un carré de verdure plus sûrement qu’une légion de moutons.

    Les mahouts traversent un champ de palmiers pour nous rejoindre, en sifflotant... Ode to my family, des Cranberries. Les éléphants déplacent leur masse dans un silence étonnant, ce sont les mahouts qui font l’animation : ils jacassent sans cesse, entre eux ou pour parler à leur bête. Une fois les présentations faites, nous mettons le pied à l’étrier. Amphélise montera Tongdeng, Célestin Sengdao et nous Tongkham. C’est finalement sans grand mal que nous prenons place sur la tête de nos montures. Il suffit, pour y parvenir, tout d’abord de remonter son pantalon (un sarouel en jean que François nous a prêté), puis prendre appui sur la patte avant que l’éléphant lève pour nous, de se saisir du lobe de son oreille de la main droite et d’un pli dans la peau du dos de la gauche, avant de se hisser en rampant jusque sur le col de la bête. A trois mètres de haut, à califourchon sur l’encolure, on se balance tranquillement de droite et de gauche. Pour avaler ses cent kilogrammes de fourrage quotidiens, l’éléphant broute sans arrêt, et de notre éminence, on le voit employer sa trompe avec adresse pour se saisir du feuillage qu’il sélectionne consciencieusement, en particulier les feuilles de palmiers qu’il apprécie. Lorsqu’il déplace sa trompe, il actionne ses muscles au niveau de l’encolure, et sans le savoir nous barate gentiment le cul. Lorsqu’il mastique, c’est avec le rabat de son oreille qu’il nous masse le tibia avec plus de fermeté qu’une professionnelle de la capitale. Les mahouts, eux, sautent d’éléphant en éléphant en riant, se lèvent et s’assoient tout à tour, à l’avant, à l’arrière, sur les flancs de l’animal. Ils sont totalement à l’aise sur ces sommets ventrus, ce qui contraste avec nous, simples jouets du mouvement de notre monture, nos mains en appui contre leur massive boîte crânienne piquée de cappellini cuits dans de l'encre de seiche plantés en désordre, en guise de poils, que nos paumes seraient bien en peine de lisser.

    Après être descendus jusqu’au lac, nous bifurquons sur la droite pour avancer jusqu’à une ample berge à partir de laquelle on va baigner les éléphants. Enfin, c’est plutôt du contraire qu’il va s’agir. Une par une, les bêtes fendent lentement la surface pour se glisser dans l’eau, avant de plonger complètement pour faire de nous la fragile partie émergée d’un pachyberg. Puis l’animal, reprenant appui sur ses pattes, relève vivement tout son corps, et en un rien de temps nous prenons à nouveau de l’altitude. Célestin, sur Sengdao, a un éléphant particulièrement joueur, et pour lui, c’est un rodéo aquatique que le mahout organise. Et notre bonhomme ne s’en tire pas si mal, qui vacille mais ne chute pas ! Autour de nous, le brunissement de l’eau en dit long sur les bains de boue que les éléphants aiment à prendre là-haut, dans leurs montagnes. De surcroît, de gros étrons émergent à leur tour, mélange de feuilles jaunies et de fiente que le mouvement des bêtes dans l’eau ne tarde pas à éloigner. Cela nous laisse le temps de nous lever, maladroitement, pour prendre position sur le flanc de notre monture et plonger dans le Khao Laem.

    Pour voir la vidéo tournée par Ken, un des mahouts, cliquer ICI.

    A l’Ouest, sur la rive opposée, une bande de verdure, jumelle de celle qui est derrière nous, se fait masser le dos par une file de stratus. Au-delà, les montagnes sont fardées par une brume qui les échelonne dans un nuancier de bleu : le Myanmar. La Birmanie, qu’on aperçoit, bleutée et mystérieuse, mais où nous n’irons pas. Asile d’un imaginaire que nous stockons dans notre sac à dos – comme Ella Maillart, illustre voyageuse suisse, qui, parvenue au pied du col de Torugart, au fin fond du Kyrgizstan, clôt son récit de pérégrinations en Asie centrale, Des monts célestes aux sables rouges, par cette simple phrase décrivant la procession d’une caravane autorisée à franchir le col, alors qu’elle n’a pas le visa : « Ils vont à Kashgar, en Chine ». Il n’y a pas que de la déception dans ce constat, il y a aussi, par la transcription d’une géopoétique des toponymes, l’évocation d’un ailleurs, d'un possible, d'un futur. Quoi de plus réjouissant, au fond, que de contempler le rêve ?

    Après ce long bain, nous reprenons pied sur la terre ferme. Puis nous nous enfonçons à nouveau dans la jungle pour revenir au camp. C’est l’heure du repas.

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    On apporte à nos quatre jeunes filles des pelletées de feuilles d’ananas, dont elles sont friandes. Le Ganesha Park en commande, chaque semaine, plusieurs tonnes qui sont livrées par camion, pour 8000 bahts, l’équivalent de 200 euros. Pour les déguster, les éléphants se saisissent, avec leur trompe, d’une pousse qu’ils fouettent alternativement contre leur patte et sur le sol pour en briser la tige avant de l’avaler tout rond.

    Dans l’après-midi, nous sommes retournés baigner les bêtes dans le Khao Laem, puis nous avons longé le lac vers le sud avant de remonter sur la montagne, à travers les champs de maïs, jusqu’en lisière de jungle, où nous avons fait nos adieux à nos grosses amies. Elles ont grimpé vers leur bambouseraie sauvage, nous, on est redescendu à la civilisation du camp pour déguster un poulet au curry avec de l’ananas. On n’a rien fouetté du tout, on a juste piqué notre fourchette dedans.

    Et cette nuit, on a rêvé d’éléphants bruns.


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  • Thong Pha Phum, samedi matin. Assis dans un fauteuil articulé en teck, sur la terrasse du bungalow qui domine le lac, j’écoute le coq et les grillons s’époumoner alors que la pluie tombe sans discontinuer depuis une bonne heure. Sur mon petit Samsung, un moucheron attiré par l’éclairage de l’écran picore les traces de doigts qu’autorise un entretien négligent. Une brise s’est faufilée à travers les feuilles comme pour annoncer, jusqu’au dernier des arbustes, le crépuscule de l’aube – le ciel vient de se teinter de bleu. Good morning.

    Nous sommes à Ganesha Park. Ô quelle joie procure la remise en route de notre voyage, après cette laborieuse poignée de jours à tourner en rond à Bangkok. Notre expédition a retrouvé un sens, et c’est très bien comme ça.

    Nous avons quitté la capitale thaïlandaise hier matin, et en roulant vers l’Est dans notre mini-van Toyota blanc, on avait l’impression de voir le livre d’histoire-géographie de sixième de Célestin déployer sous nos yeux, en trois dimensions, ses cartes, photos et même graphiques et commentaires, rubrique « La mégalopole ». Sur les nombreux kilomètres d’une conurbation qui n’en finit pas, on constate la coexistence d’habitats radicalement différents, la friction des univers sociaux, la conjugaison de la verticalité d’immeubles qui ferait passer la Tour Montparnasse pour une briquette avec l’horizontalité d’un organisme rampant qui chaque jour dévore un peu plus les terres qui l’entourent. La Ville enflée.

    A Kanchanaburi, à environ 140 kilomètres de Bangkok, nous avons pris une pause à mi-chemin. Avant de repartir, non pas dans un mini-van sans cachet, mais dans un fabuleux autocar : avec son intérieur recouvert de plaques d’aluminium, du sol au plafond, ses banquettes de toutes les couleurs, ses ventilateurs fixés au toit tous les deux mètres, son autel à l’avant, garni d’offrandes diverses - bouteilles d’eau et de soda ouvertes dans lesquelles ont été plantées des pailles, clémentines, pommes et couronnes de jasmin - le véhicule se lance à l’assaut des montagnes tandis que le paysage se débarrasse, au fur et à mesure, de ce qui fait Ville.

    Ce sont 140 kilomètres qui séparent Kanchanaburi de Thong Pha Phum, et le trajet est un régal. Les enfants ouvrent des yeux ébahis, d’autant plus que le car file à une allure modérée et que ses vitres et ses portières ouvertes apportent de la vie au déplacement. Autour de nous, tout n’est que luxe de verdure, et seul le gris du ruban de bitume sur lequel nous avançons, jeté le long de la rivière Kwaï, déroge à cette isochromie. La jungle. Nous serpentons dans un environnement de plus en plus resserré. Fermement arrimés sur le dos des montagnes, les arbres en recherche de lumière s’étirent au maximum pour élever leur cîme et la roche désormais n’affleure plus qu’en de rares surfaces grillagées de troncs.

    Un pick-up vient nous chercher à Thong – installés sur la plateforme arrière, nous parcourons rapidement les dix kilomètres qui nous séparent de Ganesha Park. Les enfants se réjouissent des coups de fouet que leur donnent leurs cheveux, profitant à plein de cette virée que la maréchaussée européenne aurait déjà verbalisée une douzaine de fois. Le véhicule s’immobilise, et, à pied, nous franchissons le rideau de verdure qui mène au campground. Une grande terrasse dallée surplombe le jardin d’herbe fraîche et de bananiers qui roule jusqu’au lac, en contrebas. Paysage splendide, nouveau moment de grâce. Nous descendons jusqu’au lac : les montagnes forment une gigantesque couronne plantée autour d’une vallée dont le lit recouvert d’eau grise reflète les nuages comme clipsés sur la couronne. Le soleil peine à transpercer l’épais damas des cumulus, mais sa fine langue parvient à lécher le toit de la maison voisine, plantée dans l’eau. Un pêcheur vit ici, et son long boat lui permet à loisir de relier la rive pour s’occuper de ses vaches, troupeau de bêtes chocolat ou crème qui broutent l’herbe tendre au pied des bananiers.

    Un peu plus hauts, les mahouts, cornacs de Ganesha, sont plongés dans une partie de sepak, sorte de beach soccer sans la beach, ou de volley-ball dont les pieds se substitueraient aux mains, qui se joue avec un petit ballon de treillis de plastique ivoire qui fait un bruit de ressort lorsqu’il est frappé. De chaque côté du filet, on fait assaut de virtuosité et les deux passes autorisées servent à construire la position idéale pour smasher du pied au-dessus du filet dans une détente remarquable. Les corps musculeux et brunis des jeunes mahouts aux yeux rieurs offrent à ce sport spectaculaire de solides arguments. Deux de ces garçons partagent une paire de chaussures – c’est que le ballon claque ! On se détend après une journée dans la montagne avec les éléphants. Demain, c’est avec nous qu’ils travailleront. Reposez-vous bien, les gars, nos petits voyageurs ont retrouvé la pêche !


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  • Bangkok, quartier de Khao San. Il est 5h56. Vue depuis le lit, l'encadrure de la porte de la salle de bains forme une symétrie parfaite avec le miroir du trumeau Thai style fixé au mur de la minuscule chambre dans laquelle je suis éveillé depuis un long moment. Le vitrail en plastique fixé au plafond de la salle de bains - faisant office de puits de lumière - et le reflet du miroir apportent la lueur de l'aube descendue péniblement jusqu'au rez-de chaussée, où nous logeons. Le puissant ronflement d'un voisin, à l'étage supérieur, se cogne contre la paroi de l'immeuble d'en face pour revenir traverser notre moustiquaire avec l'autorité d'une division de blindés. Par intermittence, fiché dans un caillebottis posé sur le mètre carré de ciment qui fait office de terrasse, un gecko se signale pour rivaliser avec notre dormeur, avant de se raviser, sans doute inquiet devant l'ampleur de la tâche. Je fais le point sur les quatre derniers jours.

    C'est lundi que nous avons franchi la frontière pour parvenir jusqu'à la capitale thaïlandaise, après un périple sous gastro qui restera gravé dans les annales. Dans la nuit qui semblait obstinément refuser de nous mener jusqu'à mardi, nous avons pris la décision de transporter nos petits malades à l'hôpital. Une demande de conseil à la réceptioniste, et hop ! nous filons, à l'heure du tigre, à travers les rues de Bangkok dans un taxi-meter. Pas de tuk tuk, du confort pour nos petits malades ! Après consultation par le médecin de garde des urgences, une vieille Thaïe d'apparence froide mais qui se révélera, au final, tout à fait impliquée, Célestin et Amphélise sont admis au service pédiatrique et seront logés ensemble, au fond d'un couloir dont le mur d'entrée, devant l'ascenseur, est décoré d'une toile où figurent une petite fille allongée sur un lit d'hôpital, entouré des équipements les plus modernes, et une doctoresse souriante en blouse rose lui prodiguant des soins sous l'oeil bienviellant de Jésus Christ, en retrait mais bien présent, auréolé de lumière. Welcome to Mission Hospital, établissement privé d'obédience adventiste. Calée sur un fauteuil roulant, Amphélise me chuchote qu'elle ne veut pas rentrer, que l'aventure ne s'arrête pas...

    La décision d'hospitaliser nos chers petits voyageurs était la bonne : ils étaient très déshydratés en arrivant. Une mise sous perfusion et sous antibiotiques leur a permis de se rétablir à toute allure. Le personnel, aux petits soins, a été adorable. Dès le lendemain soir, après deux jours de soins, Célestin a pu rentrer avec moi à l'hôtel, ravi à l'idée de visionner Real Steel sur écran géant dans une guest house toute proche de notre hôtel, tandis qu'Amphélise est restée une nuit de plus, en compagnie d'Eve. Pour le coup, c'est en tuk tuk que nous sommes rentrés du Mission Hospital, en famille, hier après-midi. Amphélise avait le visage fendu par un sourire gourmand et ses yeux disaient bien le bonheur qu'elle avait de faire partie, de nouveau, du monde des bien portants. Sa soeur et lui, pendant quatre jours de galère, ont été d'une grande vaillance. Ils ont mis les chariots en cercle et combattu avec coeur.

    A l'heure du rétablissement, donc, tel Rocambole, nous pouvons repartir à l'assaut de nouvelles aventures. Notre destination, ce matin : Thong Pha Phum (on dirait pas un roulement de batterie, ça ?), dans l'est du pays, à proximité du Myanmar. Nous allons passer une journée dans un centre de soins pour éléphants, le Ganesha Park (Ganesh, le fils de Shiva dans la religion hindoue, porte un visage d'éléphant). Il ne s'agit pas que d'une promenade à dos d'éléphant, mais d'un special day consacré aux pachydermes (alimentation, soins, bain, etc.). Nous sommes tous enchantés à l'idée de cette expédition.

    * hommage au génial cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, dont le vibrant "Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures" est pour moi un grand film.

     


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    Ca y est ! Et deux fois, en plus ! D'une, parce qu'on est en Thaïlande, à Bangkok, logés au joyeux Niew Siam, dans le quartier routard de Khao San, à deux pas de la rivière Chao Phraya. Et de deux - surtout de deux - parce qu'on l'a eue, notre journée infernale - ou plutôt, devrais-je dire, le pack nuit-jour exo-digestion à l'orientale. Nous ajouterons donc (mais n'était-ce pas écrit ?) un paragraphe, que dis-je ? un chapitre à la chronique borgesienne des contraintes gastriques en Asie du sud-est, au long Roman de (la peau de) Renart du voyageur occidental autour du Golfe de Siam.

    Un mango shake mal encaissé ? Des frites qui vous la font perdre ? Un pancake à vous mettre à plat ? On ne sait pas trop, mais ce qu'on a constaté, c'est une Amphélise bien abattue hier soir, dans les rues de Siem Reap, pour notre ultime sortie au Cambodge, Amphélise que son grand frère n'a pas tardé à rejoindre pour grossir le camp des victimes de l'amaigrissement forcé. Nuit bien courte : nos deux cocos ont pris le forfait chambre-salle de bains, forfait que peu après minuit ils avaient déjà largement rentabilisé.  Une tourista de championnat de monde, que dis-je ? olympique ! Nous n'avons quasiment pas fermé l'oeil de la nuit, et avons dû attendre cinq heures du matin pour qu'un semblant de quiétude s'installe dans notre chambre aux plafonds roses garnis de stuc. C'est à dire trente minutes avant que notre Cassandre de réveil ne nous rappelle à notre devoir : filer à toutes jambes vers le parvis de l'hôtel pour retrouver le tuk tuk qui devait nous accompagner à la Gare routière. Bref, à l'heure du lièvre ce matin, dans l'ouest du Cambodge, deux petits zombies en suivent un couple de plus grands, dans les rues de Siem Reap dont le silence blanc n'est zébré qu'à l'occasion du passage de moto-dops à la recherche des premiers clients ambitionnant une visite matinale du site d'Angkor.

    Ce que nous feignons d'ignorer à l'instant où nous grimpons dans le car, destination Thaïlande, c'est que la journée sera bien pire encore. Le véhicule, supposé couvrir la distance en sept heures, en mettra un peu moins de dix - dix heures stockés à l'arrière d'un car quand les enfants ont une gastro de compétition... Ce que nous ignorons réellement, c'est la procédure de franchissement de frontière. A Poipet, côté cambodgien, il faut descendre du car - qui nous quitte pour retourner sur Siem Reap - et traverser le no man's land à pied, entre les casinos bordés de Land Rover rutilantes et de mendiants estropiés, pour rejoindre Aranyaprathet, côté thaïlandais. Faire tamponner son passeport par des agents de douane manifestement plus à cheval sur la sortie du territoire cambodgien de touristes européens que sur le passage de tout le trafic dont la ville se nourrit. Faire des arrêts toilettes tous les cent mètres. Attendre sur un bord de route, que le mini-van côté thaïlandais passe nous prendre pour nous traîner jusqu'à Bangkok. Ployer sous les bagages.

    En chemin, nous ferons une pause qui se transformera en cauchemar - là, pour le coup, on vous passe les détails. Les qualifier de croustillants serait malvenu. Et quand je dis cauchemar, je pèse mes mots. Mais alors quel terme employer pour nos malades ? Nous rendons ici un hommage appuyé à nos chers petits voyageurs, qui ont traversé cette épreuve de vingt-quatre heures avec une vaillance qui nous a impressionnés. Dans ce long tunnel, ils n'ont pas émis la moindre plainte, alors que leurs corps, leur moral étaient soumis à rude épreuve. Fourbus, tordus de douleur par moments, se demandant sûrement, parfois, ce qu'ils faisaient là, ils ont pris sur eux et ont fait contre mauvaise fortune bon coeur.

    Demain, nous appareillons pour Thonbury Hospital pour nous assurer que tout va bien. A l'heure du dragon, cette fois, sauf cas d'urgence, mais nous ne sommes pas inquiets. Bangkok Dangerous - ça, c'est pour nicolas Cage. Et va pour de nouvelles aventures... à l'heure du rétablissement. Ca, c'est pour nos loustics.


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