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Dans les montagnes du pays toraja - suite
Le deuxième jour, Célestin et moi, comme nous en avons pris l'habitude avec ces randonnées indonésiennes, partons aux petites heures pour notre reportage photo. Le coq, comme partout ailleurs, tient de toutes façons son monde en joue, avec ses cordes vocales en cuir clouté. Autour de notre tongkonan, la mécanique du village ronronne déjà : on lave, on essuie, on brosse, on devise, on court... Le soleil ne va pas tarder à se lever pour de bon. Il va faire chaud, ça va suer dans les Quechuas...
Après un petit-déjeuner de sultan - omelette aux oeufs du jour, crêpes à l'ananas, pain grillé au fromage - nous levons le camp. A peine avons-nous laissé derrière nous ce village de rêve, ceint de rizières superbes, qu'une pétarade attire notre attention. Un convoi de mobylettes, filant vers le prochain village ou se prépare une cérémonie funéraire, est dans le pétrin. La première machine, celle qui transporte, à l'horizontale sur son porte-bagages, un porc de plus de cent kilos, est passée sur la diguette sans encombre, mais derrière, il y a eu du grabuge. Une Honda lestée d'un gros sac de riz a glissé dans le ravin. Heureusement, la pédale de gauche s'est fichée dans un tuyau d'arrosage en caoutchouc, elle n'a chuté que de deux mètres. Nous venons en aide au conducteur. Plus de peur que de mal. Et encore - mort de rire, le jeune homme enfourche à nouveau sa monture et repart de plus belle, le riz entre les mollets, sur la diguette. Qui par endroits ne doit pas excéder quinze centimètres de large.
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A moins d'un kilomètre de là, le village a été transformé en fourmilière. Des dizaines de femmes et d'hommes s'activent pour préparer l'événement. On échaffaude de solides gradins et loges de bambous qui ne dureront que trois jours (là, pour le coup, notre côté cartésien est rudement mis à l'épreuve), on décore, on cuisine pour les centaines de convives qui passeront rendre un dernier hommage au défunt. Ce sont des volontaires des villages alentours qui assurent la main d'oeuvre. A charge de revanche, sans doute. C'est toujours comme ça que ça se passe. Alors que nous entrons dans le périmètre, un buffle aux naseaux chauds encore est découpé. Sa grosse tête a été déposée à côté de celle d'un cochon - qui lui n'a pas accepté son sort avec la même résignation que le buffle. Un homme coiffé d'une casquette accroche les cornes du bovidé, encore sanguinolentes, sur un mât de bambou dressé au centre de la petite place. Des femmes hilares nous hèlent et nous proposent un café. Combien d'invitations en Indonésie depuis trois semaines ? Des dizaines et des dizaines, déjà. Comme partout ailleurs au Sulawesi, les femmes, à l'approche de Célestin, claquent la langue d'un air gourmand et lui passent la main sur le visage. C'est presque systématique. Quelque chose dans son visage clair, ses yeux timides et ses cheveux longs les attire immanquablement. Avant de quitter le village, on nous offre un énorme steak et du foie de buffle sanglés par une lanière de bambou. L'équivalent, ici, d'un trésor.
Sur la deuxième et troisième journée, notre exploration du pays toraja nous mènera successivement sur d'autres paysages de rizières en terrasse et de bambouseraies. Ici, le bambou pousse en bouquets d'une centaine de larges tiges resserrées qui giclent vers le ciel et peuvent atteindre plus de trente mètres de haut - encore plus fort que dans la jungle ! Le deuxième soir, nous dormirons de nouveau dans un petit village toraja, dans une tongkanan. Le village est comme le précédent situé à flanc de coteau, et dès la sortie, passé le dernier grenier à riz, une minuscule bambouseraie fait office de sas avec le monde extérieur : des rizières aux formes multiples qui cascadent vers le lit de la vallée. Elles sont bordées de palmiers à vin de palme, dont les troncs immenses et bagués de brun surplombent les alentours avec superbe. Des échelles de bambou y ont été accolées (on n'est pas chez les Dayaks, qui pour rien au monde ne poserainet le pied sur cet artifice !), pour permettre de suspendre les récipients dans lesquels coulent le précieux liquide blanc. Un alcool léger qui entre dans la catégorie des breuvages étranges, comme le génépi des Alpes ou le koumiz du Kirghizstan, c'est à dire que passée la première gorgée, on y prend goût...
Au pied de ces imposant palmiers, pousse une modeste végétation fleurie, qui inspire Amphélise : elle y passera des heures, en compagnie d'une petite Toraja, à confectionner une gerbe de fleurs et de feuilles qu'elle montera cérémonieusement dans la tongkonan, pour l'offrir à sa mère.
Après un délicieux repas de curry de poulet, de buffle braisé et de légumes vapeur, on monte se coucher - cet habitat toraja, à la curieuse arhitecture, on y prend goût également.
Nous finirons notre trek le lendemain soir, après avoir traversé un chaos de grosses roches éparpillées dans les rizières, telle une Brocéliande exfiltrée dans le plus grand secret. Amphélise et Célestin confirment leurs bonnes dispositions pour la randonnée, et, mieux encore, du goût pour la pastorale. C'est tout bon, ça !
Eve et moi avons à une vitesse stupéfiante développé un faible pour le pays toraja. L'endroit est une merveilleuse (idéale ?) combinaison de nature et de culture. Mais. Mais. Mais. Il est temps, désormais, de fixer le cap pour notre prochaine destination : les îles Togian, archipel de forme japonaise logée au-dessus de l'épaule droite du Sulawesi. On les dit magnifiques.
Une vérification s'impose.
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