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L'Unique et le Mutliple
A bord de l'autocar rouge SRTC de la compagnie d'Etat, aux fenêtres coulissantes couvertes de poussière, je discute avec mon voisin, un étudiant de dix-neuf ans qui se rend au nord pour prier Shiva. Il passera dans le véhicule, qui crache une fumée de mine de charbon, cinq heures en compagnie de sa sœur, son père et sa mère, qui porte un couronne de jasmin dans les cheveux, pour une offrande, un toucher ou la bénédiction du brahmane. Vie et foi se confondent en Inde. Le contact avec l'eau, la nourriture, l'Autre passe par des gestes qui semblent autant guidés par la nécessité qu'à travers des codes articulés par une mystique omniprésente.
Ce garçon, nommé Sharat Kumar, m'informe que le mot Sharat renvoie en kannada à la fois à la lumière et au printemps – magnifique combinaison lexicale, qui désigne des notions si différentes et pourtant connexes ! la lumière renouvelle le jour comme le printemps renouvelle l'année. Au fil de notre conversation, je demande à ce jeune homme, qui envisage d'enseigner le commerce à l'université, son avis sur la coexistence entre Hindous et Musulmans, ces derniers constituant tout de même plus de quinze pour cent de la population indienne. Sharat Kumar, l'oeil brillant, m'explique que les Musulmans ont leur dieu, les Hindouistes les leurs, mais qu'au quotidien ça ne change rien, lui a des amis Muslim, ça ne constitue pas un problème. Ils sont reliés par la vie quotidienne, « We live together », avance-t-il avec le sourire. S'il est bien certain que le Premier Minsitre Narendra Modi, du BJP, ne vas pas en ce sens, la réponse de mon voisin, qui combine deux croyances égales sous le faîte du quotidien entre dans ma tête en résonance avec son prénom, qui abrite deux éléments séparés mais reliés par par le cordon du sens. D'ailleurs, en indo-européen, Dieu et Lumière auraient potentiellement la même racine. Il y a des millénaires, à un jet d'esturgeon de la Caspienne, une tribu a sans-doute donné à une bonne partie des langues parlées aujourd'hui entre l'Atlantique et le Gange leurs fragiles fondements, initiant un trajet sans cesse renouvelé entre l'Unique et le Multiple. Vivre ensemble sous la même et unique lumière...
Me retournant, je profite de cet élan pour demander à la femme assise derrière moi, une gamine sur les genoux, l'autorisation de la prendre en photo. En guise de réponse, je constate qu'au niveau de la tête, son tchador noir ondule, ce qui est dû, je le devine, au dodelinement caractéristique de l'approbation en Inde. Son regard amusé confirme ce imprimatur. J'aime beaucoup cette photo.
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