• La chèvre et le jasmin

    Rien de tel que la marche pour entrer dans le tempo du voyage. L'avion produit l'effet de l'ascenseur, la voiture celui du traveling cinématographique, la marche, elle, procure un contact et ouvre, par sa lenteur et la possibilité de contredire en un clin d'oeil sa linéarité, un champ des possibles sans limites.

    La nuit avait été courte. Après avoir hésité à dormir à l'aéroport pour filer directement sur Mysore à l'heure du tigre, j'avais décidé de ne pas court-circuiter la mégalopole et profiter d'une nuit réservée en ligne à la hâte. J'arrive devant le Janpath Hotel.  Je grimpe les marches de l'escalier de béton. Le nez contre la vitre, je ne constate aucune trace de vie. A l'intérieur, les vieux canapés défoncés sont couverts de poussière. Pas de lumière. Rien. Si... une entropie légère, un pli se forme dans le tissu de l'instant et une forme approche, longiligne et hirsute comme les cocotiers que j'avais observés depuis le taxi – d'évidence un vieillard qui gagne quelques roupies en surveillant cet espace à l'abandon.

    Pas du tout. C'est un jeune homme qui non seulement m'informe que l'hôtel existe bel et bien, mais en plus qu'il est complet. La résa n'a pas été prise en compte puisque le système informatique est en panne depuis plusieurs jours – et comme le propriétaire n'habite pas sur les lieux... Ca commence bien – entendons-nous, ça commence vraiment bien puisque la minute suivante, le garçon me fait grimper sur son scooter, un sac devant, un sac derrière, cheveux au vent (j'en avais encore hier soir). Chevauchée sur les cahots de la nuit indienne jusqu'à une adresse avec des disponibilités. J'adore qu'un plan se déroule avec accroc.

    Après une poignée djangoreihardtienne d'heures de sommeil, j'endosse mon barda et me lance à pied dans la dizaine de kilomètres qui me sépare de la Satellite Bus Station, où je devrais trouver de quoi me rendre à Mysore, à trois heures au sud-ouest. Comme les sensations reviennent vite ! Après quelques hectomètres, j'avais déjà serré la main d'au moins cinquante personnes, pris un bon gros shoot de photos, bu un chaï (thé à la cardamome et autres épices) délicieux et perdu toute capillarité sur le caillou - rasé de main de maître, de surcroît. Avec fermeté mais sans inconfort, au contraire, c'est un virtuose qui m'a déboisé le crâne. Ami, tu rejoins la liste de mes belles séances de coiffeur, avec tes camarades de Tbilissi, Sharm-El-Sheikh, Marrakech, (nord de) Lisbonne.... Félicitations !

    En chemin, j'avais également passé un moment à observer le commerce du goat market, où l'on achète et vend des chèvres dont le corps frèle est posé sur des échasses qui les maintiennent loin du sol. On tâte, on hèle, ça bèle, on forme des cercles bien hermétiques lorsque l'argent s'échange. Un vieil homme à la crinière intégralement teinte au henné donne des airs de Donald Trump. Un autre, vieux chevrier, m'est conseillé par tout ce petit monde pour une photo – je fais signe que je ne comprends pas pourquoi lui en particulier tandis que ses camarades exultent, morts de rire. Soudain, je crains le pire.

    A la gare routière, je constate deux files d'attente pour le bus de Mysore. Pour le vieil autocar rouge sans air conditionné, des femmes en sari, des vieux, des enfants. Pour le bus blanc tout neuf, ce sont des jeunes vêtus western style qui patientent. Je prends le premier – ce serait dommage d'attraper froid et de ne pas m'égayer l'oeil de ces tissus multicolores.

    Vous sentez cette odeur ? C'est celle du collier de jasmin que m'ont offert Amran et son pote, assis à tailler la bavette.


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