• La fontaine, le lac et le puzzle

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    Suspendue à une cordelette, le bec orienté vers le bas, une théière en terre cuite verse en continu l'eau parvenue par un tuyau noir planté à sa base dans une vasque de béton de forme circulaire. Dans cette courette plantée d'agaves, de ficus, de bambous... on entend le chuchotement de la fontaine. Ambiance de pays arabe, à un détail près : la litanie des voix de moines bouddhistes, scotchés au mike comme des rappeurs dans une battle, nous parvient sans discontinuer depuis mon arrivée à Niaung Shwe.

    Vingt-quatre heure sur vingt-quatre, dans le monastère situé face à l'hôtel, ils se relaient toutes les trente minutes pour un mantra qui ne prendra fin qu'à l'occasion du water festival, la fête calendaire dont tous parlent ici et qui signale en quelque sorte la nouvelle année. On nous promet un événement de taille : arrosage de rue, jeux et cris, joie - hâte de voir ça.

    Pour ma part, je quitte ce matin les abords du lac Inle pour rejoindre la mythique Bagan aux deux mille temples. Après le fabuleux trek qui m'a mené ici, je me suis glissé dans les chaussons du tourisme international. Virées sur le lac, balades dans les marchés, grillades de poisson bien à l'abri sous l'auvent des étoiles...

    Comme Chapultepec est le poumon de Mexico City, comme la Tamise est la nature de Londres, le lac Inle est le réservoir d'une grande partie de la Birmanie, à l'instar du lac Tonle Sap pour le Cambodge. On y circule, on y pêche, on y cultive, on y boit, on s'y lave – la vie est gouvernée par le lac.

    Certains pêcheurs ont développé une technique à la rame qui a tout du spectacle : debout sur la poupe de leur dugout, ils entortillent une jambe autour d'un long aviron plongé dans l'eau puis baissent et remontent la jambe dans un mouvement circulaire. Un bref instant, le pied prend appui sur la lèvre de la coque, puis le mouvement reprend. C'est la main, posée haut sur le manche, qui maintient l'axe de rotation.

    A l'occasion de cette virée, accompagné des adorables Romain et Margarita – qui sont à peine à mi-chemin d'un Grand Tour, comme on disait dans l'Angleterre georgienne – nous avons posé le pied sur les lames de parquet douces comme des joues d'enfant du monastère sur pilotis, deux fois centenaire, de Nga Phe Kyang. Soixante-dix Bouddhas, assis sur des trônes dorés, vous y observent sans broncher. Qu'auraient-ils à dire sur ce défilé de bipèdes roses aux taches aspirine de crème solaire leur léopardant le corps, une prothèse équipée d'un troisième œil vissée à la main ? Sur ces corps plus ou moins couverts de tatouages, sésame incontounrable de la routardise internationale (le rebelle, désormais, c'est celui qui n'en porte pas) ?.

    Qui c'est, le spectacle, les petites statues sans mouvement ou celles qui bougent ?

    Plus intéressant, moins couru, nous avons poussé jusqu'à la pagode d'In Dein, dissimulée dans les recoins d'un lacis de cours d'eau. Pour y parvenir, vous laissez glisser votre périssoire parmi les terres fertiles qui bordent le lac. Cà et là, un enfant plonge en riant depuis une jetée de fortune. Pour maîtriser le niveau du lac, en aval, on a installé des digues légères de larges tiges de bambous fixées de part et d'autre du cours depuis la rive vers le centre, ne laissant qu'un étroit passage pour l'accès des embarcations. De surcroît, ce système permet de saisir tout objet flottant qui pourrait s'avérer dangereux.

    A In Dein, d'antiques stupas, par dizaines, sont laissés à l'abandon, colonisés par une nature qui reprend ses droits et ratisse à sa guise. Comme dans certaines temples d'Angkor, au Cambodge, la pierre façonnée par l'homme est dévorée par de larges araignées végétales qui trouent la maçonnerie plus sûrement qu'une foreuse. Les éléphants en ronde-bosse, initialement voués à l'éternité, ont été plaqués au sol par le Temps, ce deuxième-ligne dans pitié. Les hauts-reliefs de Bouddhas dansants ont été ventilés, dispersés façon puzzle. Un puzzle que l'on pourrait reconstituer d'une simple collecte, tant les pièces jonchées sont nombreuses. Ici, une feuille d'acanthe, là une paume de main – un trésor gît.

    Un klaxon ! Je pars pour Bagan.


  • Commentaires

    1
    Geraldine
    Dimanche 9 Avril 2017 à 23:22
    Photos magnifiques !! Et que de rencontres dépaysantes ! Enjoy !!! Bises
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