• Le tempo

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    Comme dans d'autres pays d'Asie, un système de ramassage à l'hôtel est inclus dans le prix d'un ticket de bus grande ligne. Pratique. Dans le pick-up truck qui nous conduisait à la gare routière, assis sur la plateforme arrière et bringuebalé sur la route pleine de nids de poule, dans le bruit assourdissant des tôles battues par les secousses et le dos labouré par les barres de protection latérales, je me suis dit que je venais d'entrer dans le tempo du voyage. Ce tempo, je crois, tu ne peux l'atteindre qu'après les péages du début : ajustement intestinal, gestion des premières contraintes logistiques, mémorisation des trois ou quatre mots qui font la différence, reprise des négociations pour à peu près tout...De surcroît, lorsqu'on commence un voyage, on n'est qu'excitation, appréhension sans doute, curiosité. On se lance, il n'est pas encore question de rythme, comme dans une randonnée. Une fois ces étapes franchies, une fois que les choses se sont mises en place, tu commences à faire corps avec le voyage. Tu n'es plus sur un objectif, tu es sur du quotidien. Tu passes du vertical à l'horizontal. J'en suis là.

    Ce qui n'empêche en rien les moments de joie, d'excitation intenses. J'ai été bien aidé par cette dernière journée à Bagan. Un petit concentré de mektoub pas piqué des hannetons. En mode petit scarabée.

    Lorsque tu atteindras les limites su site, côté sud-est, rends-toi au temple Nandammanyan. Observe les sublimes peintures de ce sanctuaire de poche. En sortant, vois sur ta gauche un muret blanchi à la chaux fixant les limites d'un monastère situé en sous-sol de l'enceinte. Hésite, puis va t'en. Change d'avis et reviens sur tes pas. Descends la volée de marche menant à l'intérieur du monastère.

    Une fois en bas, Nu-Nue m'a toisé avant de s'agiter les doigts devant la bouche – c'était une invitation à déjeuner. Avec mon look de pizzaïolo nécessiteux ! On m'a assis au sol autour d'une table ronde à laquelle cette famille de pèlerins - venue de Mandalay, plus au nord - allait se sustenter avec moi. Du porc en sauce légèrement caramélisé d'une tendreté à faire pâlir tous les filets de bœuf, une assiette de petits concombres que l'on enveloppe d'une feuille de citronnelle, du bouillon de légumes, du poisson grillé, de la soupe de nouilles... Aïe, et si c'était ton dernier repas, petit scarabée ? Ta cène. (Ca va, installé dans mon bus de nuit, je viens de m'enfiler un mooncake chinois, je pète la forme)

    Nous avons passé notre après-midi à tchatcher dans cette interlangue de contrebandier qui caractérise les rencontres... On a pris des photo, on a ri, on a parlé de nos métiers, Chacun a fièrement montré des clichés de sa famille. Le kif, quoi. Poh Poh m'a montré les prises de vue d'une célébration bouddhiste, où à l'avant d'un navire en guise de char de parade, elle montrait le chemin, vêtue d'une robe rose et maquillée de blanc, à toute une armée de rameurs en ensemble doré.

    Après nos adieux, je filai vers l'ouest pour une dernière virée d'e-biker à travers la brousse. Reprends une part de fatum, petit scarabée. Bien, maître.. Je tombai sur un temple isolé, dans lequel je dénichai un escalier de la taille d'une boîte à chaussures, qui permettait l'accès à une terrasse extraordinaire. Personne. Les autres touristes s'entassaient sur le Bulethi alors qu'on avait là une sensation de solitude prêtant au recueillement.

    Située à l'ouest de Bagan, cette éminence donnait sur les montagnes dont on ne percevait qu'une ligne de type électrocardiogramme, de l'autre côté de l'Irrawady, lui-même dissimulé sous la brume de chaleur. Une heure de solitude dans ce lieu mystique. En redescendant de la terrasse, je remarquai que l'étroit plafond de la cage d'escalier était constitué d'une succession serrée de voûtes en arc-boutant, qui donnait à cette architecture des airs de carcasse de baleine. J'étais Jonas !

    Malgré l'approche de l'horaire de mon hotel pick-up, dix-neuf heures devant le Royal Bagan, à l'autre bout su site, j'avais pris mon temps. Le temps de voir la goutte du soleil disparaître une dernière fois. Je serais nécessairement quelque part à l'heure du rendez-vous. 

    Dans le tempo.


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