• Le tennisman et le DJ

    Je regardais le tunnel au toit de métal et aux parois de grillage. A l'intérieur, trois rambardes courant sur la longueur du boyau répartissaient la file en quatre rangées. Hommes, femmes et enfants, des familles, des personnes seules patientaient, avec pour spectateurs, outre un Petit Scarabée, une foule de macaques qui en profitaient pour effrayer ce petit monde et gratter quelques bananes. Sous son ciel de zinc, la comédie humaine battait son plein alors que la température grimpait - thermostat explosé. 

    Au temple de Sri Chamundeshwari Bhavan Hall, c'était l'heure de la pree pood. Lorsque l'on a compris que la fricative /f/, bien compliquée à prononcer pour les Indiens, devient /p/, on constate que ces personnes faisaient la queue pour un gueuleton sans débourser une roupie. Il ne s'agissait cependant pas d'un repas de charité : la population endimanchée, les Samsung fixés sur les macaques en témoignaient. C'était un rite, comme des milliers se pratiquent en Inde chaque jour. Pour ma part, je venais de rejoindre le sommet du mont Chamundi à pied depuis le centre-ville, un bon quinze kilomètres chaussé de mes sandales mourantes, dans une ascension parallèle au soleil. Sur l'intégralité du parcours, j'avais été seul, doublé par des centaines de véhicules klaxonnant, ça chantait, ça riait - on était dimanche et, le temple des Chamundi étant un lieu de pélerinage, il y avait foule.

    Il y avait une promesse, je me joignis donc aux commensaux. Dans le tunnel, je me retrouvai à patienter derrière le sosie de Roger Federer. Même regard, même nez épaté, même sourire. Incroyable ! Lorsque ce garçon retira son turban, je crus qu'il allait faire apparaître une Wilson et nous produire une démonstration de son revers de légende. Non, il retira juste sa coiffe et la vie reprit son cours. Time ! On nous installa dans un hall immense, assis au sol, en rangées se faisant face. Nous avions reçu, en montant l'escalier, une assiette en inox que tous avaient posé sur le dallage, devant eux. Je n'eus pas le temps de m'expliquer la raison de ce face à face vide puisqu'un chariot, tiré à toute berzingue, baladait déjà le frichti qu'on nous servit à la louche avec dextérité. C'est qu'il y en avait des gosiers. Après avoir avalé une écrasée de lentille à la cardamome, sucrée, on nous distribua du riz avec une sauce massala. Je fus surpris de la vitesse à laquelle l'inox se vidait autour de moi - on me regardait, il fallait que j'assure. Va t'enquiller à la main un riz en sauce... Pas gluant, le riz, de surcroît ! Nous avions à peine terminé que les premiers se levaient, leur gamelle rutilante dans les mains. Le hall se vida en un clin d'oeil. Fournée suivante.

    A Mysore (prononcez  "My sir"), où je passe encore une nuit avant mon départ pour le nord, demain, c'est au Guru Hotel* que tu vas pour dîner. C'est un gargotte sur laquelle tu tombes par hasard. De la nourriture veg, des familles, de la vaisselle en inox sont ici la quasi-garantie que tu vas bien manger. Au menu, du dosa, rien que du dosa, cette grande galette à base de riz, servie là fourrée aux légumes... massala. Un croustillant à faire pâlir les meilleurs boulangers. C'est, au Guru comme partout, servi avec le sourire et puisque le lieu n'est pas recensé dans les guides, les gens viennent faire causette avec toi en se frottant la paume au dosa, comme un DJ sur un vinyle. T'es bien.

    Il est 21h21 et le concert des klaxons a pris fin, l'orchestre a regagné ses pénates. On ressortira son instrument à l'heure du tigre, et après un raclement de gorge, la cacophonie reprendra. C'est la pluie qui en ce début de soirée a pris le relais. L'orage est passé. Le tonnerre gronde au loin. Des gouttes de pluie tombent du toit. Dans le grand hall à colonnes de bois, assis sur des matelas réhaussés de coussins multicolores qui longent le mur blanchi à la chaux, on entend le clapotis à travers les larges portes de teck encore ouvertes. Le jour se meurt dans la pénombre de cet atrium. L'entropie cesse. Les ventilateurs sont à l'arrêt. Il fait frais.

    Le kif.

    * Hotel, ça veut dire resto


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