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Les liens de l'eau d'ici
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Un truc de dingue.
Tenez, passez le museau par la fenêtre, ou partez faire un tour de votre pâté de maisons, pour voir le parc du quartier. Vu ? Maintenant, imaginez le même genre d'environnement, mais en cent mille fois plus grand et un million de fois plus peuplé. C'est Yangon, le premier jour du Water Festival. La ville est transformée en terrain de jeu. Et ça va durer quatre jours.
Petits, grands, jeunes, vieux, filles garçons, tous participent. Pendant une centaine d'heures, on est tous des gamins fascinés par le fait de balancer de la flotte sur son prochain, ou d'en prendre plein la figure. C'est ainsi que ça se passe, paraît-il sur tout le croissant des pays bouddhistes d'Asie du Sud-Est à l'occasion de la nouvelle année calendaire. Quel fun ! Les flics ? Il y en a, ils portent des bottes et prennent des photos, l'uniforme trempé. Certains se baladent, une canette de Myanmar ou Andaman beer à la pogne.
Il y a une bonne humeur, une liesse et un élan collectifs que je ne me rappelle que deux fois avoir vécus en France : le 12 juillet 1998, après le victoire de l'équipe nationale à la Coupe du monde de football, et en amont dans le temps, le 10 mai 1981 au soir, après les résultats du scrutin portant François Mitterrand à la présidence de la République - et encore, nécessairement, ces derniers divisaient la France en deux. Ici, c'est tous les ans. Et ça rassemble.
Il faut bien reconnaître une dimension propitiatoire à ce qui est fondamentalement un rituel : à quelques semaines de la saison humide (qui ici commence en mai ou juin, dans un à deux deux mois), on invite le ciel à se montrer clément pour les prochaines récoltes. A ouvrir les vannes, quoi.
Globalement, journée hallucinante : par centaines, des pick-up trucks s'alignent en file indienne sur les avenues pour passer devant des stands – financés soit par un resto ou une boutique de téléphonie mobile, soit par une association de quartier – et on envoie du lourd. C'est généralement celui qui a le plus bu d'alcool parmi les volontaires qui assure la circulation des pick-ups. En dansant et en agitant les bras en tous sens, faisant couiner son sifflet comme à un meeting de profs d'EPS.
Des trombes d'eau se déversent sur les passagers des plateformes arrières, qui en retour puisent dans le tonneau arrimé derrière le conducteur pour lancer des verres, seaux, bouteilles découpées pleins de flotte.
Dans les stands, on s'est organisé depuis plusieurs semaines : multiples jets venus de tuyaux d'arrosage tenus par des volontaires de tous âges ou lances à incendie pour un jet plus puissant, plus lointain. Les plus coquins se sont procuré un équipement qui permet d'affiner le jet tout en lui donnant une pression maximale. C'est le jet filiforme qui vous lacère la peau et dépose des traînées rouges comme le ferait une méduse. Il y a de surcroît, surprise, les différents types d'eau : à température ambiante, le plus souvent, ou bien l'eau dans laquelle on a plongé de gros blocs de glace, en attendant de vous fouetter les sangs et vous raidir le dos comme une décharge électrique.
Sous les stands, on s'agite pour alimenter le tout : des théories de générateurs, qu'il faut maintenir en état de marche dans cette ambiance de feu, pulsent l'eau pour assurer le débit nécessaire à cette folie. Des tuyaux de fortune, bleu ciel, sont fixés et refixés en permanence par de petites équipes à genoux autour des machines, plombiers d'un jour – ou quatre, plutôt.
Pendant une bonne partie de l'après-midi, j'arpente les avenues armé de mon Canon et d'une banane de dessin animé. C'est formidable, mais ce serait carrément génial si... Je demande à monter sur une plateforme de pick-up à deux trois reprises, mais ma demande est repoussée, pas possible. Aïe !
Jusqu'à ce que Mio, Zin, Haimar et Ne-ne me fassent le signe libérateur de l'invitation. C'était parti : deux heures à croiser un peu partout dans Yangon, à hurler, vider des seaux et danser sur la plateforme pour la secouer au rythme de la techno position à donf des stands.
L'éclate ! Ce soir, je n'ai plus de voix, mes billets et mon passeport sont à sécher sur le porte-seviettes de la numéro huit du Mother Land Inn, et mon appareil photo ne s'ouvre plus - inutilisable. J'avais pourtant mis la bâche de protection de mon petit sac à dos... Quand ça tombe, ça tombe, c'est difficile à imaginer... Noé avait eu la présence d'esprit de construire son arche avant la pluie - je ne suis pas aussi prévoyant. Mon passeport sec, ça devrait passer, même si l'encre des tampons a bavé et les deux pages consacrées à l'identité du porteur ont bien pâli. Dans les magasins d'ailleurs, les échanges se font dans un grand naturel : tu me paies avec un billet trempé, je te rends la monnaies en billets trempés.
Yangon est un tambour de machine à laver. Cycle couleurs.
Haimar a pris le téléphone de l'hôtel - si j'ai tout compris, ils passent me prendre demain pour remettre ça, pour la journée cette fois.
Je laisse le passeport et l'appareil photo à l'hôtel, et on enchaîne.
Idemo !
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