• On the Road Again

    Thong Pha Phum, samedi matin. Assis dans un fauteuil articulé en teck, sur la terrasse du bungalow qui domine le lac, j’écoute le coq et les grillons s’époumoner alors que la pluie tombe sans discontinuer depuis une bonne heure. Sur mon petit Samsung, un moucheron attiré par l’éclairage de l’écran picore les traces de doigts qu’autorise un entretien négligent. Une brise s’est faufilée à travers les feuilles comme pour annoncer, jusqu’au dernier des arbustes, le crépuscule de l’aube – le ciel vient de se teinter de bleu. Good morning.

    Nous sommes à Ganesha Park. Ô quelle joie procure la remise en route de notre voyage, après cette laborieuse poignée de jours à tourner en rond à Bangkok. Notre expédition a retrouvé un sens, et c’est très bien comme ça.

    Nous avons quitté la capitale thaïlandaise hier matin, et en roulant vers l’Est dans notre mini-van Toyota blanc, on avait l’impression de voir le livre d’histoire-géographie de sixième de Célestin déployer sous nos yeux, en trois dimensions, ses cartes, photos et même graphiques et commentaires, rubrique « La mégalopole ». Sur les nombreux kilomètres d’une conurbation qui n’en finit pas, on constate la coexistence d’habitats radicalement différents, la friction des univers sociaux, la conjugaison de la verticalité d’immeubles qui ferait passer la Tour Montparnasse pour une briquette avec l’horizontalité d’un organisme rampant qui chaque jour dévore un peu plus les terres qui l’entourent. La Ville enflée.

    A Kanchanaburi, à environ 140 kilomètres de Bangkok, nous avons pris une pause à mi-chemin. Avant de repartir, non pas dans un mini-van sans cachet, mais dans un fabuleux autocar : avec son intérieur recouvert de plaques d’aluminium, du sol au plafond, ses banquettes de toutes les couleurs, ses ventilateurs fixés au toit tous les deux mètres, son autel à l’avant, garni d’offrandes diverses - bouteilles d’eau et de soda ouvertes dans lesquelles ont été plantées des pailles, clémentines, pommes et couronnes de jasmin - le véhicule se lance à l’assaut des montagnes tandis que le paysage se débarrasse, au fur et à mesure, de ce qui fait Ville.

    Ce sont 140 kilomètres qui séparent Kanchanaburi de Thong Pha Phum, et le trajet est un régal. Les enfants ouvrent des yeux ébahis, d’autant plus que le car file à une allure modérée et que ses vitres et ses portières ouvertes apportent de la vie au déplacement. Autour de nous, tout n’est que luxe de verdure, et seul le gris du ruban de bitume sur lequel nous avançons, jeté le long de la rivière Kwaï, déroge à cette isochromie. La jungle. Nous serpentons dans un environnement de plus en plus resserré. Fermement arrimés sur le dos des montagnes, les arbres en recherche de lumière s’étirent au maximum pour élever leur cîme et la roche désormais n’affleure plus qu’en de rares surfaces grillagées de troncs.

    Un pick-up vient nous chercher à Thong – installés sur la plateforme arrière, nous parcourons rapidement les dix kilomètres qui nous séparent de Ganesha Park. Les enfants se réjouissent des coups de fouet que leur donnent leurs cheveux, profitant à plein de cette virée que la maréchaussée européenne aurait déjà verbalisée une douzaine de fois. Le véhicule s’immobilise, et, à pied, nous franchissons le rideau de verdure qui mène au campground. Une grande terrasse dallée surplombe le jardin d’herbe fraîche et de bananiers qui roule jusqu’au lac, en contrebas. Paysage splendide, nouveau moment de grâce. Nous descendons jusqu’au lac : les montagnes forment une gigantesque couronne plantée autour d’une vallée dont le lit recouvert d’eau grise reflète les nuages comme clipsés sur la couronne. Le soleil peine à transpercer l’épais damas des cumulus, mais sa fine langue parvient à lécher le toit de la maison voisine, plantée dans l’eau. Un pêcheur vit ici, et son long boat lui permet à loisir de relier la rive pour s’occuper de ses vaches, troupeau de bêtes chocolat ou crème qui broutent l’herbe tendre au pied des bananiers.

    Un peu plus hauts, les mahouts, cornacs de Ganesha, sont plongés dans une partie de sepak, sorte de beach soccer sans la beach, ou de volley-ball dont les pieds se substitueraient aux mains, qui se joue avec un petit ballon de treillis de plastique ivoire qui fait un bruit de ressort lorsqu’il est frappé. De chaque côté du filet, on fait assaut de virtuosité et les deux passes autorisées servent à construire la position idéale pour smasher du pied au-dessus du filet dans une détente remarquable. Les corps musculeux et brunis des jeunes mahouts aux yeux rieurs offrent à ce sport spectaculaire de solides arguments. Deux de ces garçons partagent une paire de chaussures – c’est que le ballon claque ! On se détend après une journée dans la montagne avec les éléphants. Demain, c’est avec nous qu’ils travailleront. Reposez-vous bien, les gars, nos petits voyageurs ont retrouvé la pêche !


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