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Robinsonnades
Le deuxième jour aux Manguiers, je me suis décidé à franchir la rivière à la nage. A six heures, l'onde offrait son dos étale à la lumière bleutée du matin. Le silence conférait à mon entreprise un côté primitif qui n'était pas pour me déplaire. C'est sans difficulté que j'ai pu atteindre la rive opposée, au pied de la colline en forme de garrot de buffle, sur une courte plage de vase. En posant le pied sur le sol, je me suis vu Premier homme en orientant ma marche vers le Nord, à travers une jungle de cocotiers salés* qui peuple ce bord de la rivière à perte de vue. Gorgées d'eau, les branches craquaient à peine sur mon passage. Le sable vierge enregistrait mes traces - j'ai profité quelques minutes de cette sensation d'isolement avant de regagner notre rive. Dans mes dernières brasses, parvenu au pied du ponton des Manguiers, j'ai remarqué au fond de l'eau, pris dans la vase, un T-shirt au dos duquel était écrit, dans la police typique des vêtements des universités américaines, "20ème siècle". Avec un grand sourire, je me suis dit que pour ces quelques instants, c'est bien d'autres siècles que l'on aurait pu enfouir ici...
Le surlendemain, c'est avec Célestin, Amphélise et une famille franco-khmer que nous avons renouvelé l'opération. Amphélise, Paliaka et son père, ravissants dans leurs glilets de sauvetage, grimpés à bord d'un petit canot de plastique, nous accompagnaient en assurant la sécurité de Célestin, si besoin. L'eau n'était plus, comme l'avant-veille, étale, mais traversée de courants difficilement lisibles : en effet, la rivière est soumise à la marée, et il nous a semblé que dans la première partie, sur les deux cents premiers mètres, le courant allait vers l'aval, et dans l'autre sens sur la seconde partie. La chose est d'autant plus possible que cette large rivière est traversée, en son milieu, par une longue arrête sablonneuse qui fait que l'on a pied, en plein milieu du gué ! Au final, Amphélise a passé une bonne partie du trajet dans l'eau, et Célestin n'a eu besoin de personne, puisqu'il a vaillamment parcouru l'aller et le retour. Eve, dans son paréo bleu, est restée sur le ponton à profiter de la fraîcheur du matin et à prendre des photos.
La veille, c'est dans une autre robinsonnade que nous nous étions lancés : à bord de deux kayaks, effectuer une boucle dans la mangrove, à l'écart de la rivière, puis redescendre au lodge à la pagaie. Pour cela, un bateau à moteur nous a déposés à l'entrée d'une sorte de chenal : après quelques maladresses, nous avons commencé notre navigation à travers les cocotiers salés. Sur environ deux kilomètres, au nord du village de Kompong Kreng, la mangrove dresse un cadastre naturel qui délimite de nombreux jardins khmers. Nous avons tranquillement parcouru la distance dans la verdure - le lieu est magnifique : parfois, la mangrove prend ses aises et s'élargit, rappelant les Everglades de Floride, parfois elle devient bien plus étroite et à plusieurs occasions nos kayaks sont passés sous des canopées de verdure. Quelques trouées dans le rideau de cocotiers salés permettent d'observer la vie du village. Là, un couple repique le riz, ici, des enfants jouent, ailleurs on sommeille dans un hamac entre les pilotis d'une maison de bois... Une fois sortis des marais, nous avons pagayé jusqu'aux Manguiers, environ deux kilomètres en aval, la tête à nouveau pleine d'images. Eve, qui n'avait quasiment jamais tenu de rames de sa vie, a couvert les quatre kilomètres avec une vigueur qui m'esbaudit encore !
* Le terme, fort peu technique, désigne une plante composée d'une tige claire en forme de bambou qui se prolonge par une gigantesque feuille rappelant la forme des feuilles de cocotiers - et du fait que cette plante pousse le long de la rivière Kampot, qui à proximité du Glofe n'est autre qu'un fjord où se mêlent l'eau douce de la rivière et l'eau salée de la mer, c'est ainsi que Phear, la patronne du lodge les a baptisées, ces plantes. Adopté !
Tags : riviere, eau, sales, travers, avons
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Commentaires
ah la la la randonnée aquatique comme j'aurai aimé la faire me itou!! quels veinards....merci