• Traversé

    NOUVELLES PHOTOS ICI (suite le l'album, repositionné du début du séjour aux dernières photos)

    Conseil d'ami : n'allez pas en Birmanie. Vous risqueriez d'être en surcharge de kif et vous exposeriez à un excédent de bagages de retour en France.

    Passez votre chemin.

    C'est d'ailleurs par le chemin, comme souvent, que le parcours a opéré sa mutation – du tourisme au voyage. Sur le trail qui mène de Kalaw au Lac Inle, on se rend bien vite compte que l'on ne traverse pas la Birmanie, mais que c'est l'inverse qui se produit. Lorsque tous les sens sont convoqués et que vous n'êtes plus qu'une sensation, lorsque peu importe où on va, qu'il suffit d'être là.

    Nous sommes partis à cinq, de bon matin, avec pour guide la jeune Nanka, qui travaille pour le compte de l'agence Uncle Sam (si si). Sous un soleil de buffle, vous baladez votre besace dans d'amples vallées portant les dos de chameaux de collines vertes que la lumière assèche à l'oeil. Au détour d'un col, un de ces dos de chameaux, plus nu qu'un autre, se trouve coiffé d'une bâtisse à laquelle mène un chemin de terre qui monte en ruban brun, piqué d'une poignées d'arbres. Ce ne sont pas des cyprès, mais pas loin – bigre, on se croirait en Toscane ! Ghirlandaio, sors de cette rizière !

    Les rizières, d'ailleurs, sont sèches comme des parchemins : la saison est finie depuis longtemps. Les terrasses, arrondies comme des pieds d'éléphants ou tout en longueur, voire en cirque grec, se craquellent gentiment en attendant que le ciel se vide à la saison des pluies, cet été.

    Mais pour autant, les paysans Pa-O, une des nombreuses ethnies nationales, ne sont pas au repos. Penchés comme le cou d'un cheval, le turban sur la crâne, ils binent, sèment, taillent, récoltent les nombreuses cultures vivrières que la région produit en plus du riz. Le gingembre ou la pomme de terre, qu'on a glissés sous l'ocre de la terre, la citrouille, les haricots verts, la salade... La papaye et la banane, plus autonomes, font plier l'armature sans demander leur reste. Au fil de la journée, le museau est sollicité par la coriandre, aux feuilles larges comme du persil et par les effluves et la fumée du brûlis qu'on a allumé çà et là pour tonifier la terre.

    Le ravissement est consommé lorsqu'à l'approche du soir, la lumière, devenue rasante, caresse les joues des enfants venus accueillir leurs parents de retour des champs, la bêche sur le dos et le pas lent. Un Gaulois, le short légèrement déchiré au niveau de la fesse droite, court partout, excité comme un gamin, baragouinant ses quatre mots de birman et faisant cliqueter son Canon. Surmonté d'un stupa doré de frais comme les doigts d'une Saoudienne en goguette sur les grands boulevards, le village se présente au détour d'une longue passerelle qui enjambe les champs. Toutes les maisons sont en forme de rectangle. Les plus riches ont la leur en brique ou en ciment pour le rez de chaussée, en teck pour l'étage supérieur. Les autres n'ont pour pénates qu'un tissage de lames de bambou.

    Opo Thun nous logera dans la grande pièce toute en bois sombre de son premier étage, espace que sa fille a aménagé pour l'occasion de cinq nattes posées au sol, les unes contre les autres, un coussin et des couvertures multicolores posés aux extrémités. Les volumes, l'atmosphère ne sont pas sans rappeler les tongkonan des Torajas, où mes chers compagnons de voyage et moi dormîmes naguère en Indonésie, où Célestin fit de si belles photos.

    Dans la pièce, deux volets donnent sur le chemin qui fait office de voie principale et l'accès se fait depuis une petite terrasse, de teck également, où des chaises permettent de profiter des derniers faisceaux de lumières filtrés par la ramure qui gratouille la bâtisse.

    Parfait.

    La nuit, ponctuée des crises d'effarement d'un coq déboussolé et des hurlements de clébards effrayés par la lune, est animée. La vie nocturne du village entre dans la maison par tous les interstices des lames du plancher et de la cloison. Il fait presque froid : les couvertures n'avaient rien de décoratif. Nous sommes dans un bateau que l'obscurité fait gîter à son gré.

    Le deuxième jour de la rando, c'est sur un plateau que nous franchirons une vingtaine de kilomètres. Plus de terrasses mais des couloirs de culture vivrière. Les turbans rouges des paysans semblent comme posés sur les buissons. Dur métier qui fait de votre dos une équerre.

    Le parcours se termine au pied d'un col que nous empruntons à ce moment où, comme la veille, la lumière s'adoucit et autorise enfin le décillement de l'oeil. Le chemin menant au col, de sable fin et profond, est emprunté par les chariots à boeux qui ramassent les Pa-O comme un autocar au ralenti pour les mener à leur logis. C'est au tour de Grand-mère Sini de nous abriter pour la nuit, dans sa baraque pleine de charme.

    Avant que la nuit ne s'empare du village, un Gaulois, dont la déchirure du short au niveau de la fesse droite a gagné quelques centimètres, part traîner ses sabots dans la cité Pa-O. Dans la grande cour du monastère, qui fait office de cœur de la bourgade, un foot de tous les diables agite deux équipes de novices bouddhistes chaussés de tongs. Comment font-ils pour reconnaître leurs partenaires, tous ont la même chasuble. Ah non ! C'est manches longues contre pas de manche. Ca jacte, ça piaille, ça marque aussi ! Le ballon soulève une poussière que les courses des garçons empêchent de retomber.

    Plus loin, dans la bambouseraie, un atelier de vannerie, où l'on confectionne des paniers de transport de produits agricoles - que les femmes porteront appuyés contre leur dos, munis d'une sangle qui leur barrera le front à travers la fine couche de coton du turban – bat son plein. Un couteau aiguisé à la main, un paysan débite grossièrement la tige en bandes plus ou moins épaisses avant qu'un autre ne les transforme en lames longues et fines. Un autre récupère les lames et les tisse, deux par deux, depuis le cul du panier jusqu'à la gueule, en alternant lames claires et vertes, pour « faire joli » me dira Nanka le lendemain.

    Un peu plus loin encore, à l'extérieur du village, des oiseaux de toutes sortes tiennent conférence avec un désordre qui aurait sans doute déplu à Olivier Messiaen. La lipine de Germanie fait résonner ce râle si caractéristique. Le juluc rouge claquebule à qui mieux mieux. Dans les cimes, le fillonneau, hautain et sourcilleux, peine à se faire entendre. Au sol, un petit moimon semble blessé. Il a bien valsé, le pauvre ! A proximité encore, une bréquessite royale semble apprécier la partition, mais elle ne joue pas la carte de la concorde. Elle s'éloigne. Quel vacarme !

    Nanka nous invite à boire un thé vert chez ses parents. Assis au sol en position du yoga, un vieillard nous observe - il va parler.

    Quand la lumière s'est tue, quand s'enfonce le soir,

    le papa de Nanka nous raconte l'histoire

    D'un seigneur tombé droit des cieux, bam ! dans l'espoir

    de trouver une épouse, hélas c'est illusoire.

    Or, un dragon, sensible à la mésaventure,

    prend la forme d'une femme, rendant la quête plus sûre...

    Par un détail troublant, que je n'ai pas compris,

    Il se trouve que cette femme est bien sa sœur à lui.

    Aïe ! Une alliance impossible - à moins que le secret

    d'Isis et d'Osiris, soit scellé, enterré.

    Il deviendra la père de la nation birmane.

    Le papa de Nanka, à la voix de Chaman

    vient de tracer dans l'air, le récit qui prend vie

    dans l'oreille du Gaulois, assis en face de lui

    Et quand le jour se lève, flottent les mots du barde -

    il a fermé ses lèvres : c'est la lumière qui parle.

     

    Le troisième jour, il ne nous reste que quinze kilomètres à couvrir pour rejoindre l'embarcation qui nous fera traverser le lac Inle pour rejoindre Niaung Shwe, où j'ai réservé une natte.

    Nous descendons en pente douce une géographie abandonnée des paysans, des humains de manière générale. Trop sec, trop broussailleux - la végétation semble découragée. C'est aux abords du lac que se développe la vie, pas ici. Tout autour de nous, le sable est rouge, fin comme de la poudre de rubis. On se croirait en plein bush australien.

    En contrebas, une embarcation tout en longueur nous attend, nous prenons place sur les chaises disposées en file indienne sur le pont étroit. La rivière qui mène au lac a le même rouge que le chemin qui permettait de parvenir à elle. L'eau semble sèche.

    Parvenus au lac après quelques tours d'hélice, on peut observer une eau devenue transparente, dans laquelle poussent des algues que l'on récolte, logées en tas à l'avant et à l'arrière de la barque, pour assurer les fondations de l'agriculture flottante qui fait vivre de nombreux habitants. Le lac est parcouru en tous sens de périssoires qui pétaradent de tous les diables et de dugouts (barques faites d'une seule pièce de bois) silencieux mis en mouvement par de curieux pêcheurs-marionettes. On arrive à destination.

    Pour ma part, je serais bien reparti dans les montagnes illico. Trop beau.

    Mais mon short est désormais traversé de cette déchirure – comme dit Felicity, avec qui j'ai fait la randonnée, on dirait que j'ai deux shorts.


  • Commentaires

    1
    lolo
    Jeudi 6 Avril 2017 à 17:28

    Coucou Francois, tes photos sont superbes... cest magnifique. Enjoy, bisous de nous 4, laurence

      • Jeudi 6 Avril 2017 à 18:04

        Merci, ça fait plaiz - biz à vous

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