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    Hier, notre premier moment de grâce dans ce voyage. Si, si !

    Nous sommes arrivés à Kampot, de Kep donc, pas de Phnom hélas, en tuk-tuk. Une petite heure sur une route en bon état, cheveux au vent, un sourire d'une oreille à l'autre sur le visage des enfants. Un tuk-tuk choisi après une négociation âpre mais fructueuse - extrait :

    " - Ten dollars.

    - Now, come on, eight dollars and that's a deal.

    - Ten dollars.

    - OK, ten dollars."

    Nous avons atteint le lodge nommé Les Manguiers vers 14 heures. Là, dans un vaste jardin veiné de chemins dallés qui borde le fleuve Kampot, moutons et chèvres paissent entre des maisons de type khmer - en bois peint, sur pilotis - disséminées ça et là à proximité des rizières. Nous y avons pris les deux chambres les moins chères, dans la demeure qui jouxte la grande cuisine, et comme la troisième chambre est inoccupée, c'est tout le bâtiment que nous avons rien que pour nous : une salle à manger et deux pièces où se combinent des cloisons en lames de bois cloutées et peintes en jaune avec des parois recouvertes de fines tiges de bambou verni en rangs serrés. Pour accéder aux chambres, on tire deux volets que l'on rabat pour refermer la pièce, en y ajoutant un petit verrou total made in China. Entre les cloisons, on entend les rongeurs gambader, et Eve s'est choppé une souris sur le râble en fermant une fenêtre - ambiance. Bref, c'est rustique.

    C'est la partie extérieure des Manguiers qui fait tout le charme du lieu : on y mange des repas délicieux servis sur des plateformes de teck brut disposées à fleur d'eau, on s'y promène entre les manguiers - dont les fruits sont exquis - on y joue au ping pong ou au badminton, on y bouquine recroquevillés dans des hamacs tendus à l'abri du soleil, et surtout, surtout, on y profite du fleuve, auquel on accède par des pontons. Trois cents mètres d'onde calme et brune, à la température idéale, séparent notre bord de la rive opposée, plein ouest, où la nature maîtresse s'étage : en contrebas, au bord de l'eau, une bande de verdure luxuriante dont semblent vouloir s'extraire les têtes mal coiffées de quelques cocotiers plantées sur des troncs dégingadés. Un peu plus haut, le garrot de buffle d'une colline. En arrière-plan, disposée en écharpe autour du garrot du buffle, la ligne de crête d'un relief qui descend vers la mer, plus au sud, le flanc orné du bestiaire que constituent les ombres de nuages esseulés remontant depuis le Golfe. J'étais assis sur le ponton à regarder Célestin et Amphélise se baigner lorsque le soleil s'est glissé dans le dos du massif, après avoir ravalé sa fine langue blanche. J'ai rejoint les enfants et nous nous sommes ébattus jusqu'à la nuit noire. 

    Un peu plus tard, vers 19 heures, nous avons largué les amarres pour une promenade en bateau. Nous n'attendions pas grand chose - à tort - de cette virée nocturne pour observer des lucioles. Les enfants, l'oeil inquiet, ont vu le lodge s'éloigner alors que nous voguions vers le creux de la nuit sur les eaux parfaitement lisses du Kampot, d'autant plus qu'à intervalles réguliers, des éclairs illuminaient le ciel, annonciateurs d'un orage qui n'a finalement pas éclaté. Au-dessus de nos têtes, le ciel se peuplait d'étoiles à vive allure. Depuis le delta, à quelques encâblures en aval, la brise apportait avec elle un parfum légèrement iodé. Après vingt minutes environ, le batelier a coupé le moteur et, dans l'obscurité, la barque a continué de fendre la surface de l'eau en silence, offrant à nos oreilles gourmandes le festin des mille et un sons de la nuit cambodgienne. En approchant du bord, la main posée sur la lèvre de la coque, nous avons pu observer l'irréel : en écho aux éclairs qui au loin faisaient leur orgueilleux office, des guirlandes de lumière en mouvement donnaient vie aux ajoncs et arbres du bord de l'eau - les lucioles avaient débuté leur office à elles, non moins modeste. Se prenaient-elles vraiment pour des étoiles, à nous faire croire qu'elles pouvaient tirer la voûte céleste jusqu'à la surface de l'eau, criblée de météores taillées dans l'humus, l'écorce et la chlorophylle fraîche ? Et nous, pauvres Gaulois, de s'imaginer que le ciel allait nous tomber sur la tête...

    Il est des moments, comme celui-là, où l'on croit que l'on traverse une rivière, mais c'est l'inverse qui se produit : vogue en nous un flot charriant les sons et les images et les odeurs, et nous ne sommes plus qu'une vibration, et s'efface toute connaissance, tout ce qui est mesurable. Des moments où nous sommes disponibles.

     

     


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  • Commentaires

    1
    L&O
    Lundi 16 Juillet 2012 à 22:14

    on s'y croirait... comme c'est beau... et dire que l'on revient de 4 jours au bord dd'une mer grise et gelée agitée par un vent ennervé... allez, continuez bien!

    bisous

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