• Ein Jack London

    Lovés dans les replis de Colonia del Sacramento, comme sous une couette douillette, nous laissons le temps s'écouler à sa mesure sous un soleil d'été. L'heure de notre retour en Fance approche à grands pas, mais on profite du rythme de la cité coloniale. La population ici est souriante et détendue, comme en vacances.

    La ville, classée au au volet culturel du patrimoine mondial de l'Unesco, a été fondée par les Portugais pour espionner ce qui se tramait, au dix-septième siècle, entre Buenos Aires et l'Espagne. A ce titre, pendant une centaine d'années, elle fut considérée comme manzana de la discordia.

    Objet de contentieux, la ville s'est développée sous un jeu d'influence qui a pris une dimension particulière. Les nombreux azulejos et les canons de la forteresse peuvent faire penser au Portugal. Par ailleurs, les placettes  bordées de terrasses rappellent le sud de l'Espagne, tandis que les nombreuses automobiles anciennes - de la Ford T à la deuche, en passant par la Fiat Topolino - lui donnent un air de La Havane. De surcroît, face aux églises à deux tours blanchies à la chaux, ou en arpentant les rues pavées, on se sent à Coyoacan, au sud de la capitale mexicaine, ou dans une ville du Chiapas. Bref, Colonia del Sacramento, à l'instar de Oaxaca ou d'Antigua, est une de ces cités de charme qu'on peut visiter sur les parties nord, centre et sud du continent. Tout entière tournée vers le Río de la Plata, elle affiche ses jolie demeures blanches, roses ou en briques brunes, en une longue enfilade décorée de bougainvillées et de palmiers.

    Les Porteños ne s'y sont pas trompés, qui affluent le week-end, lorsqu'ils arrivent par ferries entiers une heure après avoir quitté la bruyante Buenos Aires, de l'autre côté du fleuve. Or, samedi, c'est demain - on verra bien. Du moins les croisera-t-on lorsque nous nous rendrons, en sens inverse, vers la capitale argentine, pour notre vol à destination de Madrid.

    Pour CAFE, Colonia restera en outre le lieu où nous avons rencontré Fritz, alias Trix. Un furieux, un vrai. Sa mèche blonde tombe sans arrêt sur son nez, telle un linge s'anime à la brise. Sa peau légèrement rougeâtre est tendue comme celle d'un tambour autour de ses yeux clairs, dont la gourmandise ferait frémir une femme de pasteur du Jutland. Il porte une chemise canadienne à carreaux rouges, élimée, dont la manche droite est parcourue d'une fente comme taillée au coupe-chou et met au jour un robuste biceps. Ses cuisses gonflent le tissu de son jean, troué au genou. A vingt-six ans, Trix est l'incarnation contemporaine de l'esprit d'aventure à la Jack London. Il a de plus quelque chose de Jon Krakauer, l'auteur d'Into the Wild, que Sean Penn a mis en scène depuis - ce désir d'ailleurs mêlé à la capacité de vivre seul.

    On en a vu, des voyageurs, des routards partis depuis des années, depuis si longtemps parfois qu'ils n'ont plus de destination. Des fondus, comme ce couple de Français naviguant depuis cinq ans sur toutes les mers du monde, ou cet autre couple de Français en rando à travers le continent, dormant à la belle étoile chaque nuit, ou bien encore cette retraitée en vadrouille depuis des lustres à travers le monde. Bref, on a fait des rencontres savoureuses - mais lui, c'est le number one. Du voyageur de compét'...

    Il est parti depuis un an et demi, deux jours après avoir soutenu une thèse en mécatronique. Depuis, il a promené son vélo dans quarante pays, sans jamais prendre le train, ni le bus, ou presque. Jusque là, bon, du relativement classique. Mais ce qui le distingue des autres, c'est un itinéraire de dingue et des challenges à tomber par terre.

    Lorsqu'il a voulu entrer en Russie, de Chine, on lui a refusé le visa - qu'à cela ne tienne, il a pédalé jusqu'en Corée, où on le lui a refusé également. Alors, c'est au Japon qu'il est allé l'obtenir, à l'aube de l'hiver 2011/2012 - il pouvait donc mener à bien son projet : traverser la Sibérie sur sa monture d'aluminium. Trois mois pour contourner le Lac Baïkal, dont un par moins trente, à dormir sous une tente ou carrément dehors. A quelques pas de traces d'ours - et il paraît qu'en hiver, saison où l'animal est sensé hiberner, elles sont aussi rares qu'inquiétantes ! Antérieurement à la Russie, il avait traversé toute la Chine, et avant encore, les hauteurs tadjiks et kirghiz d'Asie centrale. N'ayant jamais grimpé jusque là, ce natif de Dresde s'est tout de même offert les 7100 mètres du Pic Lénine, dans le Pamir, sans guide, sans équipement de pointe - en coutournant même l'accès officiel au site, pour ne pas payer.

    Eve et moi, qui avons adoré notre séjour en Asie centrale, en 2000, écoutions bouche-bée son incroyable récit. Quelle aventure ! Lui nous racontait son périple avec un mélange d'humilité et d'enthousiasme. Sa traversée du sud-est asiatique, sa remontée d'Afrique du sud jusqu'au Congo. A vélo, toujours à vélo... En Amérique, dernièrement, il a pédalé depuis le Mexique jusqu'en Patagonie. Nous avions les oreilles en feu lorsqu'il a parlé de son ascension de l'Aconcagua, le toit du continent américain - seul, tout seul, alors même que l'accès à la montagne était fermé : c'était l'hiver austral ! Atteindre les 7000, avec un vent poussant des pointes à deux cents kilomètres heure, en totale improvisation - nous étions soufflés. Juste après, il a fait plusieurs centaines de kilomètres depuis le Fitz Roy, en Argentine, jusqu'au Torres del Paine, au Chili - franchissant le parc des glaciers. Invraisemblable. Nous étions en fusion, lui nous parlait de la douleur du froid, des sacs de couchage qui deviennent durs comme du bois au petit matin, tandis qu'une paysanne russe, alors qu'encore allongé il repoussait une offre de vodka au petit-déjeuner, s'était mise à le larder de coups de pieds et avait fait rouler son sarcophage - et lui bloqué à l'intérieur - en contrebas ! Ses photos sont .

    Il compte rouler jusqu'á épuisement de ses ressources financières. Nous, nous rentrons demain... Sans doute, comme les artistes explorent des territoires créatifs que nous n'osons pas aborder, lui voyagera-t-il un peu pour nous dans la suite de son aventure phénoménale.

    Aujourd'hui, on a piqué une tête dans le Río de la Plata et on a loué une voiturette de golf avec laquelle on s'est promenés dans Colonia. Trop fou.

    Ein Jack London

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  • Commentaires

    1
    jadkat
    Samedi 29 Décembre 2012 à 13:19

    petit faible pour la photo de Celestin sur ... une harley ????? bises

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    2
    pacobalcon Profil de pacobalcon
    Samedi 29 Décembre 2012 à 13:30

    Non, Madame : une Honda.

    3
    jadkat
    Dimanche 30 Décembre 2012 à 00:13

    bah délire quand même !!!...

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