• Enfer et paradis

    "Mais papa, ça vous fait plaisir de nous faire faire des cauchemars ?" - ça, c'est la question qu'Amphélise m'a posée aux deux-tiers de la visite du S 21, centre de détention et d'interrogation de sinistre mémoire. L'une des 196  prisons que le régime khmer rouge, conduit par Pol Pot, créa à la suite de sa prise de pouvoir en 1975, après avoir vidé la capitale Phnom Penh, intégralement, de sa population (plus de deux millions d'habitants) sous le pretexte fallacieux d'un raid aérien yankee imminent. Une fois désertée, la ville devenait pour le pouvoir totalement disponible pour installer un laboratoire de l'horreur : le S 21. Cependant que la population de la ville était dispersée aux quatre coins du pays pour y être mise aux travaux forcés, comme le reste des Cambodgiens; car le régime khmer rouge tenait à mettre en oeuvre son manifeste idéologique : la seule université, le seul apprentissage qui vaille, ce sont les campagnes, les travaux aux champs, la construction de routes, etc. Le bannissement de l'intellect.

    Le S 21, situé à proximité du centre, donne à voir les cellules dans lesquelles avaient lieu les interrogatoires, séances sans fin et sans autre objet, au fond, que le contrôle et la destruction des mentalités, conduits par le terrifiant Duch, vu dans le documentaire de Rithy Panh (Duch, le maître des forges de l'enfer) que nous avions regardé peu avant notre départ, ainsi que des instruments de torture hallucinants. Telle une large baignoire en forme de boîte rectangulaire munie de crochets pour y attacher, par les poignets et les pieds, des prisonniers  plongés dans l'eau à intervalles réguliers ; munie également d'un petit robinet à l'extérieur, en bas de la caisse, robinet dont la fonction (vider l'eau, après la torture) associée à sa petitesse, donne des frissons d'effroi : tant de pouvoir en un si petit organe !  Et, comme pour tout système totalitaire animé de la tentation du contrôle total, la visite du S 21 permet d'observer les traces de l'administration de cet hubris : des fiches complètes, pour chaque détenu, et surtout, surtout... des photos - portraits en noir et blanc, de chacun de ces martyrs : hommes, femmes, enfants, vieillards, en chemise, torse-nu, ligotés ou non, mais qui ont tous un point commun, ils sont photographiés de face. Généralement en plan rapproché. Ces photos, aujourd'hui disposées par murs ou panneaux entiers, donnent froid dans le dos. Le régime khmer rouge a pris fin en 1979.

    Après environ une heure, donc, nous avons préféré mettre fin à la visite pour Célestin et Amphélise, qui commençaient à craquer. Amphélise - qui a exactement l'âge que j'avais lorsque mes parents m'ont emmené visiter Auschwitz - a éclaté en sanglots, et c'est par le dialogue que nous avons conclu notre visite. Non, Amphélise, ça ne nous fait pas plaisir de te faire faire des cauchemars. A l'inverse ! Mais comme le sommeil de la raison engendre des monstres... Justement, Amphélise, le bâtiment dans lequel le S 21 fut créé, c'était auparavant... un lycée. Et c'est l'absence totale de hasard dans ce choix qui nous conforte dans l'idée que cette visite ne fut pas inutile.

    Pour une lecture en sonorama, cliquer ici 

    De la même manière que soleil et pluie constituent pour nous deux visages de l'ailleurs, il nous faut ajouter qu'après la visite des forges de l'enfer d'hier, c'est le paradis que nous avons atteint aujourd'hui. Direction Kep, au sud-ouest de Phnom Penh, face au Golfe de Thaïlande. Après une poignée d'heures de bus (audio), une nuit sur pilotis, au sommet d'une colline boisée dominant la côte. Oh, la plage, ça n'est pas Koh Tao, mais la vue depuis la chambre : fabuleuse.

    Il est 18h42, le soleil décline doucement, Célestin rédige sur son carnet moleskine, Amphélise sur son cahier cambodgien, et Eve regarde la mer. Longtemps.

    Vous auriez vu son sourire en entrant dans la cabane perchée sur les hauteurs... Celui-là, je me le garde.


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  • Commentaires

    1
    Mimi Bouba
    Vendredi 13 Juillet 2012 à 16:48

    Merci de ce récit "aigre doux". Comme tu le dis, raviver la mémoire est une nécessité.

    je suis ravie de lire que votre voyage vous comble comme anticipé. Faites le plein de sensations ! Grosses bises.

    Mimi

    2
    KATOUKAT
    Vendredi 13 Juillet 2012 à 17:00

    aie aie aie très intéressant mais au combien triste.. j'espère que vous avez pu par la suite emmener les enfants dans un endroit plus "joyeux" et surtout qu'ils ne feront pas de cauchemars !

    3
    zaza75
    Vendredi 13 Juillet 2012 à 19:15

    ça me rappelle le docu que j'avais vu sur le sujet....effectivement l'over dose de dégoçut gagne facilement, je comprends Amphélise qui a bien su évacuer son ras le bol d'horreur devant vous ! Félicitations ma grande ! Je préfère la deuxième partie, le paradis, et là je dis profitez, c'est que du bonheur...Ici il flotte tjs autant et c'est tout moche alors on vous envie, c'est con vous allez raté le défilé sous la pluie, ça vous manque pas un François Hollande tout mouillé ? Décidément doit y'avoir un truc entre les François et la pluie !

    4
    Géraldine LV
    Mardi 17 Juillet 2012 à 23:30

    Salut François, t'es trash avec tes enfants, je n'aurais jamais osé emmener mes filles dans un tel lieu de souffrance!! Heureusement qu'il y avait après  la vision édénique....

    En tout cas, c'est chouette de te lire... j'ai pris du retard par rapport à ton périple ! Je vais prendre le train en marche et vous rattrapper ! Vous ^êtes où ce mardi 17 juillet ? ...

    Au plaisir de te lire....

    Géraldine

     

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