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Opale Opale
Depuis Uluru, Lorry nous a embarqués pour un long trajet sur la Stuart Highway, nom donné au long ruban qui relie Darwin, sur la côte nord, à Adelaïde, sur la côte sud. L’expédition est devenue un Magical mystery tour assez sauvage : c’est un souk pas possible à l’intérieur du van – bouteilles qui roulent de part en part sur le sol, coussins partout, paquets et boîtes vides, musique au taquet. Merry pranksters in Australia. Parfait.
Nous avons parcouru, dans la journée, les huit cents kilomètres nous séparant de Coober Pedy, l’autoproclamée capitale mondiale de l’opale. Pas une ville, sur une distance comparable à Paris-Marseille. Le désert, le long du bitume, déployait son immensité plate autour de notre camionnette. Mais grâce aux Aborigènes, nous savons désormais que désertique ne signifie pas vide. Alors le regard qui se promène par la vitre est toujours en recherche d’une histoire…
En chemin, Lorry nous a fait faire un truc de dingue, un peu après la frontière séparant le Northern Territory du South Australia, où passe la clôture la plus longue du monde : plus de cinq mille kilomètres de grillage visant à empêcher les dingos, endémiques du nord, de migrer vers le sud du pays. Alors que nous nous dégourdissions les jambes le long de la chaussée, il a joué les affolés à l’approche d’un road train, un de ces énormes camions à trois, quatre ou même cinq remorques qui sillonnent pleins gaz la Stuart Highway, et nous a fait nous installer sous un passage canadien traversant la route, genre « Vite, vite, allez-y, sinon vous allez être aspirés ! ». On s’est donc mis à l’abri, et là, ce fut le choc. Lorsque le road train, avec ses quatre remorques, a franchi la grille, juste au-dessus de nos têtes, nous avons cru y passer : dans le bruit de toutes forges de l’Enfer, le petit tunnel s’est mis à vibrer comme une machine à laver. Nous nous sommes mis à hurler comme des flippés ! Lui, à la sortie du boyau, était mort de rire : l’idée avait germé dans son cerveau malade alors que nous avions doublé le camion quelques minutes auparavant. Et lorsqu’un autre road train a pointé le bout de son nez à l’horizon… on est tous retournés dans le tunnel !
Nous avons atteint Coober Pedy en début de soirée, et après un arrêt pour ravitaillement au liquor store, nous avons filé pour la nuit dans un undergound hotel, grand espace troglodyte à l’intérieur duquel, de chaque côté le long d’un vaste couloir, des alcôves ont été creusées à même la roche. Discrets comme des chats, on a laissé notre Canadienne nous précéder, on a regardé sa tête basculer à droite et à gauche, et lorsqu’elle a posé son barda au fond, dans la dernière alcôve, on est revenu vers l’entrée : la distance de sécurité acoustique était respectée – nous dormirions bien.
Les logements dans Coober Pedy sont souvent installés comme celui-ci, dans la roche. Il s’agit de mines d’opale abandonnées après l’épuisement du gisement de la pierre précieuse. Lorsqu’une famille s’agrandit, on appelle l’excavatrice et on creuse une nouvelle pièce, rien de plus simple. Des tuyaux reliés à l’extérieur de l’habitacle permettent d’aérer un espace à l’isothermie remarquable : il fait en permanence de vingt-deux à vingt-quatre degrés, alors qu’au-dehors, c’est une étuve en été et il peut y avoir des températures négatives en hiver.
Le lendemain, nous avons visité une mine désaffectée qui fait office de musée, puis jeté un coup d’œil aux pierres exposées. Nous ne connaissions pas l’opale. C’est une pierre magnifique, qui à la lumière rend visible des couleurs insoupçonnées. Michèle a offert à Amphélise, pour son anniversaire, qui aura lieu dans deux jours ! un joli pendentif en collier, un petit morceau de roche blanche qui scintille lorsqu’on l’observe à proximité d’une source lumineuse. Elle a également offert à Célestin – lui, son anniversaire, c’était début septembre ! – une pierre brute : l’opale y est prise dans le fer.
Au dîner, nous nous sommes régalés de grandes pizzas, que le restaurant qualifie, sans modestie, de « best pizzas in Australia ». Nous les avons dégustées dans un « orphelinat pour kangourous », et avons gardé les croûtes pour les bêtes. Lorry avait prévenu Terry, le directeur, de l’imminence de l’anniversaire d’Amphélise – il a approché un joey, c’est-à-dire un bébé kangourou, d’Amphélise, et lui a demandé de souffler sur le museau du petit. En retour, le joey lui a fait… un bisou ! Happy birthday !
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Lorry, d’ailleurs, ça se confirme, est un type incroyable. Il dort peu, est tout le temps à fond, nous transmet une énergie folle et sait créer une ambiance de groupe aux antipodes de la morosité. De plus, il rappe, et très bien. Son nom de scène : MC Rain - ce qui en soi n’est pas innocent dans un pays aussi aride que l’Australie. Il nous a montré une vidéo, tournée à l’intérieur d’une usine désaffectée, dans laquelle il battle contre un autre rappeur, talentueux aussi, mais qu’il met en pièce avec autorité. Il a un flow de fou, et lorsqu’il a trouvé l’angle d’attaque, il file en piqué sur sa proie en lâchant ses missiles, fait pleuvoir les mots jusqu’à enterrer son opposant sous la surface du langage.
Il a une fissure, profonde, que seuls les mots lui permettent d’endiguer : ce mec toujours pêchu, joyeux, rieur, rigolard même, est en colère. Très. Contre son père. Après quelques bières, passé minuit, je lui ai demandé de nous faire une démo, et, pourquoi pas, de me tailler en pièces. Il a balancé un freestyle hallucinant, dans lequel il a fait le contraire – c’est son daron qu’il s’est mis à tailler en pièces, et en parallèle a fait un éloge² de notre petite famille, à une vitesse supersonique, comme on n’en rêverait pas. C’était bouleversant, j’ai pris Lorry dans mes bras, cet ours fragile, et on a chialé dans les bras l’un de l’autre. Et on ne se connaît que depuis quatre jours !
Il faut dire qu’Amphélise avait labouré le terrain de l’émotion, quelques heures plus tôt. Pour le remercier de tous les cadeaux qu’il leur faisait depuis le départ, à Célestin et elle, notre petite voyageuse lui a offert un croquis qu’elle avait fait d’après les histoires aborigènes consacrées à Uluru. Les quatre animaux qui symbolisent le rocher, le lézard, le wallaby, le python et le serpent venimeux étaient représentés, le long desquels elle avait dessiné les traces de pas de chacune des bêtes. Des demi-cercles représentaient les Aborigènes (comme c’est la coutume) et des petits points bleus indiquaient la présence de l’eau. Lorry, lorsqu’Amphélise lui a remis ce petit cadeau, était très ému – il a affirmé que notre gazelle, du haut de ses sept ans quatre cinquièmes, avait capté la tjukurpa mieux que certains adultes qu’il emmenait sur les lieux.
Cent-vingt jours après notre atterrissage à Phnom Penh, le voyage, qui usine chacun de nous au gré du vent, façonne également notre petite famille. Notre périple, cette idée assez folle au début, s’est métamorphosé en un mouvement presque naturel. Exposé au soleil de l’hémisphère sud, CAFE, comme l’opale, met au jour ses couleurs. Chacun a trouvé sa place, comme on s’installe autour du feu sans réfléchir, les mains en avant. Le voyage est un âtre qui nous réchauffe, une flamme qui capte notre regard pour lé fédérer. On est ensemble. Ensemble sur des bateaux, ensemble dans des autocars, ensemble avec parfois nos souliers pour tout véhicule dans la jungle, ensemble partout. Ensemble dans un van crade qui avale du bitume comme s’il avait le vers solitaire, et se glisse comme un serpent entre les broussailles accrochées aux sables rouges de l’outback. Nous n’avons pour toute richesse que deux sacs qui commencent à s’effilocher, une paire d’appareils photo, un ordinateur portable et quelques vêtements. On est bien.
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Commentaires
coucou, c'est génial de vous lire, grace aux articles de François on est si vite embarqués avec vous ss meme s'en apercevoir et je m'emerveille comme une gamine de vous sentir si proches de nous autres étranges/ étrangers parisiens, on vous lit, on vous écoute, on vous regarde, et on est si heureux pour vous! et nous aussi alors, on est bien...