• Pas de malaise en Malaisie

    Pas de malaise en Malaisie – ça ferait pas un beau OSS 117, ça ?… Ou bien sinon, il y aurait :

    Mali – Malaisie, Manu Chao ;

    Mal au zizi en Malaisie, San Antonio ;

    Malaïsha, J.M.G. Le Clézio ;

    Blaise Malaise, Manu Larcenet ;

    The Malay and Me, Thomas de Quincey ;

    Gardez le Malais !, Jamel Debbouze ;

    Ficciones de Malasia - según el único sueño de Agustín de Malaca, Jorge Luis Borges ;

    Malaise moi !, Virginie Despentes ;

    Malles malaises, Blaise Cendrars ;

    Le malais, et toutes les autres langues asiatiques, à l’aise, Claude Hagège ;

    Malais levé, le Malais fait, Bobby Lapointe…

     

    Bref, on a passé la frontière. Encore une de ces frontières qui se franchissent comme on passait à l’Est sous Brejnev : « Bon, c’est clair ? Tu descends du train, tu sors de la gare sur la droite, oui, oui, par-dessus les voies, tu marches tout droit sur un kilomètre, tu contournes un bâtiment qui ne sert plus à rien depuis des lustres, tu empruntes un passage obligatoire qui te fait revenir sur tes pas, tu présentes tes papiers, tu refais un kilomètre à pied et tu attends un bus rouge pendant une heure. Répète ! ».

    A la différence de la frontière naturelle entre le Myanmar et la Thaïlande, délimitée par une longue ligne de crête, la démarcation Thaïlande-Malaisie se fait sans topologie remarquable. On change de pays, c’est tout. Bon, ça n’est pas non plus comme s’il ne s’était rien passé de spécial, et que les deux pays, d’un commun accord, avaient élevé leur haie en traçant un plan sur un coin de table. Il y a justement un grand nombre de Malais, dans le sud de la Thaïlande, qui n’auraient rien contre un ajustement frontalier vers le Nord, et qui se rappellent au Roi de Siam par bombinettes interposées – et par ailleurs, si on a bien compris la visite du Musée de la Seconde guerre mondiale de Kota Bharu, il semblerait qu’en remerciement de services rendus, le Japon d’Hirohito aurait offert à la Thaïlande, en 1942, une partie du nord de la Malaisie – pas sain pour l’amitié entre les peuples, ça… Mais bon, on n’a pas franchi de col ni de rivière.

    Et pourtant. La différence entre les deux pays est saisissante. Quelques minutes suffisent pour couper le cordon – on est, de nouveau, ailleurs. D’abord, les voitures : en Malaisie, même si on circule à gauche comme chez le voisin, on roule en Proton ! Made in Malaysia, please. En particulier le modèle Saga – berline tri-corps qui dans une de ses versions combine un avant de Renault 11 avec un arrière de Talbot Tagora, pour aboutir au véhicule sans doute le moins racé, le plus insipide de l’histoire de l’automobile.

    Mais parlons de ce qui compte. Fini le bouddhisme ! Ici, on est en terre d’Islam. Les Malaises portent le foulard – ce qui ne les empêche pas de conduire motos et voitures, d’adresser la parole aux hommes dans les transports en commun, ni d’avoir des postes à responsabilités. Si une femme n’en porte pas, de foulard, c’est qu’il s’agit d’une Chinoise ou d’une Indienne. A fortiori en ce moment, on remarque les non musulmans en ceci que ce sont les seuls à manger de jour : c’est ramadan. Il fait chaud, mais pas une goutte, pas une miette ! Vers 18 heures, dans tout le pays, le rythme ralentit, on se prépare pour le repas. A partir de cet instant, en Malaisie, comme en toute terre d’Islam, le monde se divise en deux catégories (comme dirait Clint Eastwood) : il y a ceux qui préparent le repas et ceux qui s’apprêtent à manger. En fait, au bout du compte, ça ne fait qu’une catégorie, puisque ceux qui préparent le repas s’apprêtent également à dîner. Mais peu avant 19h30, heure de l’azan, c’est à dire l’heure à laquelle le muezzin appelle à la prière, qui précède le repas, c’est tout un pays qui retient son souffle. Les restaurants sont pleins à craquer, les tables sont dressés et les plats sont servis, les convives sont installés, mais le plus grand silence règne et oncques ne bouge un cil – on attend l’injonction salvatrice, lorsque de manière presque performative le langage se transforme en aliment. Quand dire, c’est manger. Et manger, c’est ce que l’on attend depuis le lever du soleil.

    Le foulard, le ramadan, donc, mais aussi la disparition du visage du Bouddha. Passée la frontière malaisienne*, le sourire de l’Eveillé, d’apparence bienveillante, qui nous accompagnait à chaque pas, est devenu souvenir. Et comme ailleurs en terre d’Islam, à la représentation des hommes et animaux, proscrite par aniconisme, se substitue l’arabesque, les formes géométriques, les croissants et les étoiles qui ornent les dômes des nombreuses mosquées, et le drapeau, du pays. L’entrée dans Kuala Terrenganu, ville du nord du pays qui revendique sa ferveur religieuse, donne à voir, en enfilade sur la rive du fleuve, quatre mosquées de grande taille à l’agencement, aux décorations, aux couleurs très différentes, comme un Reghistan d’extrême-orient. C’est saisissant, à défaut d’être vraiment beau.

    Il y a beaucoup de Chinois en Malaisie, et il semble qu’ils aient, en quelque sorte, une mainmise sur le pouvoir économique : de nombreuses officines, de nombreux hôtels, de nombreuses entreprises ont pour patron un Chinois. Ils travaillent en bonne intelligence avec les Malais, cependant sur les lieux de loisirs (restaurants), se manifeste un communautarisme certain. Encouragé par les pratiques culturelles – consommation d’alcool, par exemple – et la volonté politique. Le pouvoir politique, détenu par la majorité, est donc malais, et des décisions sont prises pour contrer la puissance chinoise en terre malaise – par le biais, entre autres, d’une politique de quotas. C’est ce pouvoir qui a pris la décision d’opter pour l’emploi de l’alphabet roman pour le malais, seule langue officielle – ce qui nous permet, à nous Gaulois, à la différence de la Thaïlande et du Cambodge, de parfaitement lire des choses auxquelles on ne comprend rien. Le malais, c’est un peu comme du turc sans cédilles ni trémas.

    Après deux jours à Kota Bharu, où nous avons visité le charmant palais du sultan, tout de teck foncé et de voilages jaune poussin, nous sommes descendus ce matin jusqu’à Kuala Terrenganu, sur la Mer de Chine. La ville affiche les signes de son développement avec ostentation. Les banquiers ont érigé d’imposantes bâtisses aux couleurs vives, les mosquées, plus tapageuses les une que les autres, dressent leurs minarets un peu partout, et le Mc Donald de la Gare routière y fait la taille d’un supermarché. A Kuala Terrenganu, les autobus sont recouverts de teck brun, ce qui leur donne des allures de cable-car à l’orientale. De là, nous avons pris le car pour Marang, afin d’embarquer sur un speed-boat pour Pulau Kapas, visible depuis le continent. Autant le dire tout de suite : ça pourrait faire des jaloux.

    Pulau Kapas, c’est rien qu’un p’tit caillou lancé depuis la côte par un enfant joueur. Un îlot à peine plus gros qu’une tortue : en guise de carapace, une colline recouverte de jungle, en guise de tête une minuscule terre émergée un kilomètre plus au nord, joliment nommée Gem Island (la pierre précieuse) – le tout bordé de sable blanc calibré à l’angström, grain par grain. Notre petit bungalow donne sur la mer, garnie de coraux qu’inspectent des bancs de poissons multicolores jouant les affairés à longueur de journée. Nous avons embouché nos tubas, enfilé nos masques, et chaussé nos bottines de plongée pour voir ça d’un peu plus près. Amphélise et Célestin, surexcités, relevaient régulièrement leurs corps de mini-plongeurs pour annoncer pêle-mêle les dernières trouvailles, et nous n’étions pas en reste. Plus tard, après une promenade sur la plage, nous avons dîné face à la mer, assis en carré sur des petits coussins munis d’appuie-têtes en triangles. Amphélise s’est endormie avant la fin du repas, emportée par la tiédeur du soir et le calme. On a foulé le sable frais pour retourner à notre bungalow et nous coucher. On pratique un sommeil de qualité sur Pulau Kapas. Pas de malaise en Malaisie.

     

    *Un Malais, c’est un membre d’un groupe ethnique, et malaisien c’est une nationalité. Comme pour Thaï / Thaïlandais ou Khmer / Cambodgien.

     

     

     


  • Commentaires

    1
    François Fréal
    Mercredi 29 Août 2012 à 08:51

    Nous suivons votre voyage avec grand intérêt. Merci de prendre le temps de nous relater les évènements dont vous êtes les témoins attentifs et bravo à François pour la qualité de sa plume. Bises

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