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Puerto Madryn
Ca fait cinq jours que nous évoluons dans le secteur de Puerto Madryn, dans le nord de la Patagonie. A un rythme de sénateur, il faut bien l'avouer. La ville est une station balnéaire, tranquille pour quelques jours encore - avant que n'affluent les hordes de vacanciers, des Porteños de Buenos Aires pour la plupart, qui viendront ici profiter du soleil et des plages pour passer l'été austral. La cité ne possède pas de charme particulier, mais il fait bon s'y promener dans une ambiance détendue. De toutes façons, c'est l'environnement naturel qui a motivé notre venue ici, comme partout ailleurs en Patagonie.
Nous sommes (très) bien installés dans l'Hostal Gualicho, en plein centre-ville, à quatre ou cinq quadras de l'Océan atlantique. La vaste salle de réception, ainsi qu'un agréable espace video/ordi/lecture attenant, nous offrent l'opportunité de prendre le temps de cuisiner, de lire et d'écrire, et de faire bosser les enfants.
Dans un article précédent, nous annoncions qu'après toutes nos aventures devant et sur les glaciers, il ne nous restait plus qu'à surfer sur des crocodiles et ce serait bon. Ben c'est fait, ou presque !
Samedi, donc, nous rejoignons Stefan, un grand blond au corps filiforme et au visage couvert de barbe, qui bosse pour Aquatours. La veille, un oeil rivé sur son ecran à la page météo, il nous avait annoncé que la sortie était compromise à cause des prévisions de vent. Le jour dit, c'est sous un soleil radieux que nous arrivons chez Aquatours - le climat nous a fait une fantaisie, le ciel est au beau fixe. Une fois parvenus au fond de la cabine donnant sur la plage, on nous donne des tenues de plongée en eau froide : une combinaison en néoprène sans manches moulante comme un juste-au-corps de pierreuse, dans laquelle il faut passer la tête par une sorte de gros decapsuleur de latex pour tendre le tissu, et sur laquelle on enfile un short-blouson avec ferneture éclair laterale. Bref, la classe - surtout que dehors, justement, il fait chaud... Voilà que sous un soleil de plomb quatre Gaulois en sueur avancent vers la mer en tenue de pingouins de Magellan, avec, justement, la même demarche, mal assurée. Le long de la plage de sable fin, allongés sur des transats, les Argentins nous regardent, morts de rire. Moment de solitude collective de force 4.
Nous franchissons les deux cents pas nous separant du cinq mètres a moteur ancré au bord. Stefan nous y attend déjà, en compagnie de Tape, un gaillard a la barbe drue, les cheveux rassemblés en une queue de cheval fournie, qui porte un tee-shirt décoloré, dans les rouille, dont il a coupé lui-même les manches, ainsi que des lunettes de soleil de marque Police. Une fois le moteur en route, il lève la tête vers le ciel et barre son bateau à l'aveugle, le regard perdu dans les nuages, bercé par le ronronnement de son quatre-vingt dix chevaux. On longe la côte vers le sud sur trois bons milles avant de localiser, sur une zone où la falaise plonge directement dans les eaux, trois cuevas, des cavernes ravinées par les vagues. On y est presque. A quelques encâblures, l'éminence de la roche s'efface pour laisser place à une etroite bande de sable et de cailloux sur laquelle, à marée haute, les créatures au corps de grosses limaces munies d'ailes de pigeon se sont rassemblées pour se prélasser au soleil.
Masque, tuba, palmes viennent en deux temps, trois mouvements, compléter notre élégante tenue. On se glisse dans l'eau à quatorze, quinze degrés, à une centaine de mètres du bord. Ils arrivent illico, et se mettent a danser autour de nous, ondulant avec une maîtrise folle. Quatre créatures de nationalite francaise, au maintien maladroit, pédalent avec leurs palmes pour garder un semblant de stabilité dans l'eau, tandis que, rapidement, dix, vingt, trente phoques s'approchent, virevoltent, s'éloignent, disparaissent puis surgissent à nouveau à une vitesse stupéfiante. Ils prennent de l'assurance, la confiance s'installe... Ca y est, ils acceptent nos caresses ! Leur pelage lisse et doux zigzague sous nos mains, c'est merveilleux ! En louvoyant dans notre périphérie, ils nous mordillent, le genou, le coude, les fesses, pour jouer. Incroyable ! Célestin sera le premier à en prendre un dans ses bras, bientôt rejoint par Amphelise. Ces animaux, sauvages, se joignent aux petits groupes de nageurs pour le simple plaisir du jeu - rien ne leur est donné à manger. Ce sont les femelles et les jeunes mâles qui se mêlent ainsi aux humains, les machos, eux, restent à distance dans l'onde, ou tout simplement sur la plage, à exposer leur volumineuse crinière léonine..
Nous avons passé une heure au milieu de ces mammifères avant de grimper à nouveau sur le pont de notre embarcation, pleins de l'idee que nous venions encore de passer un moment exceptionnel.
Le lendemain, nous sommes partis en excursion sur la Péninsule de Valdes, dont Puerto Madryn, en quelque sorte, constitue le chef-lieu excentré. Ce n'est pas une Samsung qu'on nous a loué, cette fois, mais une Ford Fiesta de deux ans, déjá bien usée par le ribio, ces chemins de gravier qui zèbrent la presqu'île. Dès les premiers mètres, on a entendu un bruit de claquement de métal sous le capot, comme une plaque de tôle mal vissée. La voiture a caqueté comme une poule pendant deux jours, mais on n'y a pas laissé de plumes...
Nous avons passé l'octroi, placé sur la langue de terre menant à la péninsule. En ce 23 décembre, on semblait nous indiquer le chemin...
Après l'entrée du parc, vous roulez à travers une lande qui par endroits semble sans fin : bien qu'on soit sur une presqu'île, on reste baignés dans l'immensité. C'est ça, la Patagonie : même sur les bas-côtés, c'est gigantesque !
Valdès est une lande bordée de falaises au pied desquelles vit une faune aquatique remarquable. Des pingouins, des phoques, des éléphants de mer digèrent paisiblement leurs sardines sous un vol ininterrompu d'oiseaux de toutes espèces.
Pendant ce temps, sur la partie terrestre, les guanacos, moutons, lièvres, rongeurs et petits mammifères vaquent entre les barbelés des estancias sous le regard gourmand d'aigles aux ailes de géants. Au large, les cétacés s'ébattent dans les profondeurs. Pas toute l'année, hélas - nous avons loupé les baleines de quelques jours. Pas grave.
Pas grave, d'autant plus qu'on a eu la chance de spotter trois orques en maraude près du rivage, faisant des allées et venues à vingt mètres du bord, où les phoques et éléphants de mer se la coulent douce. Parmi ces trois mammifères à la peau en soulier de l'époque du Cotton Club, une femelle accompagne son petit...
Le sens de cette maraude ? Initier le futur chasseur à l'attaque et à la capture des phoques allongés sur la plage. En mars et avril, ils reviennent et giclent carrément sur le rivage pour se saisir, à pleine gueule, de l'inoffensive créature, avant de se laisser glisser vers l'arrière, sur les galets, avec le ressac. Nous n'avons pa vu cette scène, mais la dimension pédagogique de la promenade est en elle-même fascinante.
Le soir, avant de rentrer sur Puerto Piramides, le village de la péninsule où nous avions réservé une chambre pour la nuit, nous sommes retourné sur les dunes que nous avions vues dans l'après-midi. Nous étions seuls, et être seuls à l'extrêmité de la presqu'île, c'est un peu comme être seuls au monde.
Nous allions vivre une des dernières épiphanies de ce voyage si intense. Les éminences de sable, peignées par le vent, donnaient des airs de Sahara à l'endroit - pour un peu, on se serait cru sur la dune du Chegaga, au sud de Marrakech. Sur la mer, au loin, une explosion invisible avait provoqué une déflagration dans le ciel et les nuages s'étaient projetés vers l'est en s'aplatissant, couvrant nos têtes comme une immense peau d'ours blanc tendue. La lumière couvrait de rose les rides ordonnées des monticules de sable. Le temps s'est comme dilaté, et nous sommes restés dans la douceur du couchant, à profiter de cet instant alangui, baignés d'une fine pellicule de sable.
Le soleil, qui s'enfonçait doucement à l'ouest, semblait expulser le ciel vers l'est - et notre destination finale. Amphélise a rassemblé ses forces, et lorsqu'elle a sauté, elle s'est maintenue en l'air - quand se posera-t-elle ?
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Commentaires
2sylvie UlisVendredi 28 Décembre 2012 à 17:423Une Famille à lOuesSamedi 29 Décembre 2012 à 15:34
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oh la la le kif.... comme ça me fait rêver vos rencontres !!!!!!!!!!! j'en rêve ! trop délirant ...