• Tanathos toraja - suite

    Aujourd'hui, c'était CAFE SCINDE. Amphélise et Eve sont restées sur Rantepao, pour souffler, travailler un peu et acheter les billets de bus pour le nord. Célestin et moi, renseignements pris, avons décidé de consacrer une journée de plus à une cérémonie funéraire. Il semble y en avoir deux en ce moment : l'une à Salu, l'autre à Sangalla, deux villages plein sud. Va pour Salu ! A peine sortis de l'hôtel, nous trouvons un ojek (moto-taxi), et c'est parti ! A trois sur l'ojek, sans casque sur les petites routes de montagne - ce qui n'empêche en rien notre chauffeur de décrocher son téléphone pour composer des sms. Bref, on arrive à Salu. Le village, désert. On s'est plantés. Pas l'ombre d'un défunt. C'est mort.

    C'est parti pour Sangalla ! Le village, lui, présente en abondance les signes d'une tenue de cérémonie : une longue file de bemos et de mini-vans qui charrient* les visiteurs par centaines. Pas des touristes, non ! Enfin, il y en a, mais en petites proportions, surtout maintenant que l'on est hors-saison. Il n'y a pas à proprement parler de programme de cérémonies torajas officiel, mais la rumeur, chaque semaine, enfle, et, en dehors des invités de la famille, déjà nombreux, une multitide de Torajas se déplacent pour assister à ces cérémonies.

    Pour suivre en sonorama, cliquer ici :

    Grâce à nos talents logistiques, il est midi passé lorsque nous arrivons au village. Sur une vaste place rectangulaire, en bas d'une courte pente à gauche de la route, une série de plateaux couverts et décorés de tissus dans les rouge basque, ornés d'arabesques, accueillent les convives, occupés à écouter le maître de cérémonie, qui vocifère dans un micro dont les potards ont probablement été réglés avec des sabots de buffle, curseur en position à fond. Les danseurs, aujourd'hui, sont vêtus de noir - ils étaient dans une cérémonie précédente en bleu ou en rouge. Massés en cercle, ils se tiennent par les mains et sautillent, tout en chantant, en écho, dans un flot saccadé qui rappelle les rites navajos. Une jeune femme saisit Célestin par la bras et l'entraîne dans cette étrange farandole. Mal à l'aise, il fait contre mauvaise fortune bon coeur, mais se désolidarise à la première occasion, pour mieux s'emparer de son appareil photo, lequel, c'est officiel, ne le quitte plus désormais. Au centre, trône le tau tau, assis, du défunt, vêtu d'un costume blanc immaculé. C'était un noble. Sa figure de cire, qui brille au soleil, sourit à l'assemblée.

    A l'heure de la procession, le corps du défunt est descendu de son plateau surélevé : le cercueil glisse sur des rampes de bambou avant d'être posé sur un palanquin que portent une dizaine d'hommes en noir. Ca fait deux ans que le cadavre, plein de formol, est conservé dans l'attente de ce moment. Dans un bruit de tous les diables, des danseurs, des hommes-buffles aux cornes d'or qui avancent par trois dans une chorégraphie lancinante, et des chanteurs accompagnent l'ébranlement du cortège. Devant le corps, un palanquin plus petit accueille désormais le tau tau du mort, précédé des porteurs de totem et de buffles qui ouvrent la marche. Soudain, un son se fait entendre, si caractéristique d'autres Highlands. Ce n'est plus Sergio Leone qui filme, c'est David Lean : oui, c'est bien un Ecossais, en kilt avec sporran et chaussettes en laine, qui vient d'emboucher son bagpipe. Incroyable  ! Mais que fait-il donc là ? Alors qu'il s'époumonne sur son instrument, le maître de cérémonie hurle ses remerciements à tue-tête.

    Arrivés en haut de la pente, la foule bruyante se fige, sous un cagnard d'enfer. On adjoint au sommet de palanquin principal, celui du corps, un toit toraja en bonne et dûe forme - charpente, lames de bambou et plaques de tôle toutes neuves. L'ensemble doit peser plusieurs tonnes, et c'est maintenant une noria d'hommes en noir qui prêtent main forte pour le transport de ce trailer sans roue. Le soleil donne de puissants coups de glaive sur les têtes qui à présent s'échauffent. Le cortège est à l'arrêt, mais les cris fusent, ainsi que les bouteilles d'eau lancées contre le palanquin et ses porteurs, pour rafraîchir ce petit monde. Au coeur du vacarme, un homme portant moustache est occupé à donner des coups de pierre sur les coins du toit de tôle pour en arrondir les angles. Personne ne s'occupe de lui, néanmoins il semble sûr de son fait pour ce détail, comme s'il s'agissait du cousin éloigné de cet autre inconnu qui pourrait venir vers vous descendu de sa Laguna, à la sortie d'Arpajon, alors que vous êtes penché sur votre moteur en panne, pour vous affirmer tout de go, sans le moindre doute, que "c'est la tête de delco".

    A l'avant de cet arrimage, on a noué un large ruban rouge qui se déploie sous nos yeux sur des dizaines de mètres, seprentant en suspension au-dessus des têtes. La multitude de poings fermés qui le tiennent en hauteur, sur les bords, forme un collier de grosses billes blanches sous le soleil.  C'est sous cet abri de couleur vive que se tiennent les femmes, venues nombreuses rejoindre la procession et faire le tour du village. De nouveau, le cortège s'ébranle.

    Pour suivre en sonorama, cliquer ici :

    Après quelques mètres, le palanquin tangue, vire à doite puis à gauche comme un bateau ivre : c'est le corps du défunt qu'on se refuse d'abandonner à la terre, qui freine et se tortille pour rester dans le monde des vivants. Les porteurs sont à présent recouverts d'un linceul de sueur, et tout en ahannant sous l'effort, ils se balancent avec le sourire. On prend des riques insensés sur ce petit chemin de montagne, et sous l'effet de la bascule, nombreux sont les porteurs qui finissent allongés dans les fourrés et piétinés. Ils se relèvent le visage tout sourire en se tenant les côtes. Je les soupçonne, à mi-chemin, de commencer à secréter de l'endorphine : nous assistons à une vraie scène d'hystérie collective. Des mouvements de foule roulent en avant et en arrière comme de lourdes vagues de chair.

    A l'issue de cette parade, de retour sur les lieux de la cérémonie, les porteurs mettent un terme à leur marche, et, progressivement, font baisser l'intensité des débats. Ils se calment : impossible de retourner sur ce lieu solennel dans cet état d'hystérie. On distribue à tout ce petit monde des briques de jus d'orange frais, dans lesquels sont plantées des pailles en biseau. Le toit est retiré du palanquin, puis les deux parties de l'assemblage, séparément, sont descendues sur la place. Le corps rejoint une autre loge surélevée, qu'il ne quittera plus avant le septième jour, et la fin du rituel.

    Pendant ce temps, les touristes ont été conviés dans un espace couvert pour une distribution de thé et de gâteaux. Lors de la première cérémonie à laquelle nous avons assisté la semaine dernière, nous n'étions que de rares étrangers, aujourd'hui nous sommes plus nombreux à jouir de cette attention. Encore une en terre indonésienne. Cet accueil est invraisemblablement généreux.

    Peu après, nous reprenons notre marche, pour sortir de l'enceinte et nous rendre dans les rizières toutes proches, afin d'assister au combat de buffles organisés par la famille. Cinq mastodontes sont libérés dans un espace ouvert, et les Torajas, comme dans le sud de la France, s'amusent à exciter les bêtes et prenent plaisir à se faire peur lorsque celles-ci s'approchent d'eux. Ils sont des centaines à assister à ce combat. Hélas, les buffles, après une journée attachés sous un soleil-matraque, sont bien apathiques. Ils se frottent les cornes et tournent en cercle, mais tout cela est sans entrain, bien mou de la couenne... Pas grave, la journée a été bien remplie, et Célestin et moi sourions comme des bienheureux en tendant le pouce pour trouver un véhicule pour nous ramener sur Rantepao.

    On a attendu, quoi, deux minutes.

    des mini-vans, ça charrie un peu, non ?


  • Commentaires

    1
    sylvieUlis
    Mardi 25 Septembre 2012 à 18:42

    alors....les montagnes du pays Toraja m'ont séduites, je constate que coté gastronomie ca a l'air bien sympa aussi....drole de truc que les ceremonies funérairesn cela semble si étrange....merci encore pour le voyage quasi partagé, si si on s'y croirait!! je fais de la pub en salle des profs!!hihi bisous et bonne suite de voyage a vs, je file voir si ya des photos nouvelles!!

    2
    Marie BONNIN
    Mercredi 26 Septembre 2012 à 21:46

    Hello les cocos, je suis accro, bravo pour vos photos.
    Merci, merci, à Rocky le génie du récit qui nourrit et embellit nos jours de pluie.
    Que vous dire ? Que vos sourires ne sont que plaisir !

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